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L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

Titel: L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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très pauvre, et il donnait parfois aux mots des acceptions connues de lui seul. Malheureusement son vocabulaire romani n’était guère plus étendu. Il établissait assez facilement la correspondance entre un mot romani et un mot français, mais lorsqu’il s’agissait de termes concrets (27) .
    — Je crus au début qu’il savait compter, car il me donna correctement les noms de nombre de un à vingt en romani (qu’il appelait le tsigan), mais je dus m’apercevoir bientôt qu’il réalisait difficilement le rapport de chacun de ces noms avec le nombre qu’il représentait. Un jour qu’il s’était perché aux barreaux de la cellule, on lui demanda combien il y avait d’hommes dans la cour ; il répondit : « quatre ». Il y en avait vingt-huit. Pourtant il connaissait la valeur relative des pièces de monnaie et des billets de banque, et il eût été impossible de lui faire accepter un billet de 50 francs pour un de 100, encore qu’il appelât le billet de 50 francs « billet de 5 000 francs ».
    — D’autres prisonniers voulurent lui apprendre à lire, mais durent y renoncer après plusieurs essais infructueux. Paulo retenait la forme des lettres et les dessinait parfaitement, mais confondait immédiatement les sons entre eux. Finalement il apprit à « dessiner » son nom sans qu’on parvînt à lui inculquer la valeur phonétique d’aucune des lettres qui le composaient. Certains cherchèrent longtemps à savoir quelles étaient ses convictions religieuses. Paulo n’en avait aucune, mais avait très grand peur des morts et le terme de «  mulo  » l’impressionnait fâcheusement. « Mais enfin », insistaient ses voisins, « tu es bien catholique ? » — « Non, dit Paulo, choqué, on est français comme tout le monde. » Je l’interrogeai à mon tour sur les rites mortuaires (pièces de monnaie mises dans le cercueil, etc.). Mais il me dit que sa tribu ne les pratiquait pas. « C’est les Hongrois qui font ça », ajouta-t-il.
    — Une des premières questions que je lui posai concernait son surnom (romeskro nav). Il me conta que, lorsqu’il était tout petit et se traînait encore à quatre pattes, il dévorait tout ce qu’il rencontrait, ce qui emplissait son père d’orgueil. Celui-ci le désignait aux autres membres de la tribu, disant que son fils était «  sar caco halo, baloro  ». Cela lui était resté, et non sans droit. Nous souffrions tous de la faim mais pour lui, c’était un supplice intolérable, et son sujet de conversation préféré portait sur les franches lippées au bord des routes, les hérissons bien gras, les oies « tchorées » (il les tuait à 20 mètres d’un caillou à la tête) et rôties au feu de sarments. Parfois il se promenait de long en large en gémissant : « Ah ! si j’avais un bon chat… » Et sa mâchoire mimait de façon si animale que ses voisins en étaient quelque peu effrayés. Un matin, au moment de la distribution des morceaux de pain, il se crut (à tort d’ailleurs) lésé, et sauta à la gorge du prisonnier chargé de la distribution. (Fait à noter, il bondit sur lui mais non pas les bras tendus, mais la mâchoire en avant.) Il n’était pourtant pas méchant, et même fort serviable. On lui fit une fois remarquer que toutes les histoires qu’il racontait finissaient par des coups de curi :
    « Les gars ne sont pas méchants, dit-il, mais voilà, le soir y jouont leurs sous, et ceux qui perdont, pile ou face ou comme ça, y z’ont du chagrin, y voulont y reprendre, alors y foutont un coup de curi. »
    Le dimanche et le mercredi, à la place de la soupe aux épluchures qui était l’ordinaire du soir, nous recevions un petit paquet de biscuit et de pain d’épices, don du Secours Quaker – ou plutôt ce que les gardiens allemands nous en laissaient. Ces soirs-là, nous sentant un peu mieux nourris, nous organisions une « soirée ». Pressé de chanter quelque chose, Paulo répétait indéfiniment un petit refrain romani et une bizarre chanson en français qui commençait par :
    « Onze heures et demie, me v’là ben t-y… » et dont, ne les comprenant pas, il avait défiguré les mots. On lui, réclamait alors des tours ; il n’en savait que deux, la roue et le saut périlleux, mais les exécutait bien. Il prétendait lire dans les lignes de la main (tsardau karte apo vast) mais convenait que seules les femmes en connaissaient l’art.
    Son dialecte se caractérisait par

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