L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes
centaine d’âmes en tout.
Une autre aube se lève
Sur la sombre forêt,
Nous avons tout perdu,
Plus de roulottes, plus de chevaux.
Les oiseaux et les gosses se lèvent tôt.
La petite rivière chante
Gaiement à l’aube.
Les enfants vont à la pêche
Et ainsi oublient, le grand
Malheur qui nous attend,
Dieu seul le connaît.
Mon chant est triste,
Qui saura sentir
Ce que ressent
Mon pauvre cœur ?
Oh ! pauvre de moi,
Je pleure des larmes de sang,
Douze membres de ma famille
Les Allemands ont tués…
Ils nous pourchassent,
Font la guerre aux partisans
Et nous, pauvres tsiganes,
Nous prions et pleurons.
Affamés, nous nous endormons
Les yeux grands ouverts
Sur le ciel large
Nous suivons la marche des étoiles.
Dieu, comme la vie est belle
Mais les Allemands ne nous
Laissent point vivre,
Ils nous tuent sans pitié.
La lumière erre comme mon chant.
Ô petite étoile,
Tu es si grande à l’aube,
Si réelle ta lumière
AVEUGLE LES YEUX DES ALLEMANDS,
Montre-leur le faux chemin,
Pas le vrai, pas le vrai,
POUR QUE PUISSE VIVRE UN ENFANT JUIF
POUR QUE PUISSE VIVRE UN ENFANT TSIGANE.
PAULO, MICHEL ET LES AUTRES…
— Ayant commencé (26) à m’intéresser aux tsiganes en 1941, et habitant alors le midi de la France, j’avais eu assez de mal à les approcher et à en tirer des renseignements linguistiques intéressants. Un voyage aux Saintes-Maries-de-la-Mer lors du grand pèlerinage des gitans, le 28 mai, ne m’avait apporté que peu de choses, et je regrettais d’avoir toujours affaire à des Caraques, dont le dialecte est proche du gitano et mélangé de français et d’espagnol, voire de provençal et de catalan. J’aurais voulu faire parler des tsiganes de l’Est, et surtout vaincre leur méfiance et faire l’étude approfondie d’un dialecte.
— J’étais loin de me douter que mes vœux allaient se trouver remplis au cours d’une captivité de deux ans où ma qualité de codétenu et les connaissances de romani que je possédais déjà, allaient me permettre de venir à bout de la méfiance traditionnelle envers le gadzo des nombreux tsiganes avec qui j’allais me trouver en rapport.
— Mon premier contact eut lieu à la caserne Boudet, annexe du fort du Hâ, prison militaire de Bordeaux, où je fus envoyé après un séjour de deux semaines dans les cachots de la forteresse de Saint-Jean-Pied-de-Port où la Gestapo m’avait écroué après mon arrestation à Orthez le 20 juillet 1943. J’y passai, dans une vaste pièce où se trouvaient déjà vingt-huit prisonniers politiques, quarante jours que le manque presque total de nourriture et la prolifération incroyable des punaises eurent rendu très désagréables si je n’avais trouvé la compagnie de gens intéressants. C’est là que j’ai connu Paulo Weiss, dit « Bâlo ».
— Âgé de dix-neuf ans, mais fort comme un homme de vingt-cinq, Paulo appartenait à une tribu nomadisant en Picardie, Bretagne et Anjou, venue probablement de Hongrie par l’Allemagne il y a une vingtaine d’années. Paulo, qui était de son métier chanteur et acrobate (je dirai plus loin à quoi se réduisaient ses talents), avait été requis par les Allemands pour travailler à l’organisation Todt à Saint-Jean-de-Luz. Il était emprisonné pour avoir quitté son travail sans autorisation. Il avait voulu rejoindre sa famille qui se trouvait à Angoulême où un grand nombre de nomades avaient été « fixés », et occupaient un camp gardé par la gendarmerie. Je devais apprendre qu’à partir de 1941, on avait cherché à sédentariser de force les tsiganes en les parquant avec leurs roulottes dans des camps d’où ils pouvaient d’ailleurs sortir moyennant certaines formalités, ou dans des villages comme celui qui avait été créé dans la banlieue d’Arles pour les gitans de cette région. J’avais d’ailleurs remarqué aux Saintes-Maries-de-la-Mer en 1942 que le pèlerinage, qui attirait jadis des tsiganes venant de fort loin, ne groupait plus que des gitans de la Camargue, du Languedoc et de la Provence. En 1943, il devait être supprimé par ordre du gouvernement de Vichy.
— Paulo présentait un type intéressant de mentalité primitive. Les histoires qu’il racontait volontiers une fois mis en confiance, étaient comme les chansons qu’il chantait souvent, dépourvues de sens aux yeux de ses compagnons de captivité. Son vocabulaire français était
Weitere Kostenlose Bücher