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L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

Titel: L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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l’emploi intensif de mots, allemands tsiganisés : blauto, monco, zono, mittago, etc. Il fut difficile de reconstituer sa conjugaison, car Paulo confondait volontiers les différentes personnes du pluriel, notamment la première et la troisième, auxquelles il donnait en français la même désinence en ont, faute inattendue puisqu’en romani c’était la deuxième qui était semblable à la troisième (en-en). Le futur lui était inconnu aussi bien en romani qu’en français.
    Transféré au camp de Compiègne, le 11 septembre 1943, j’y trouvai trois tsiganes, dont un enfant de treize ans. J’y restai plusieurs mois, et j’espérais étudier un dialecte différent, mais c’étaient des Weiss, cousins éloignés de Paulo. Du moins la mention de mes rapports avec ce dernier, accompagnée du don d’un peu de tabac, me fut-elle auprès d’eux une bonne introduction.
    Nous fûmes déportés par le même convoi en décembre, mais tandis que les deux adultes firent partie presque immédiatement d’un convoi pour le camp de « Dora », le petit cave de treize ans, Michel Weiss, échoua au block 31 de Buchenwald où je devais moi-même rester près de huit mois. Il y fut adopté par le chef de block et quelques Français qui recevaient des colis.
    Son adresse de petit singe et son goût précoce pour les cigarettes faisaient l’amusement de tous, mais son humeur était curieusement susceptible. Un Français ayant dit un jour devant lui que les tsiganes étaient dispersés sur toute la terre, le gamin devint blanc de colère ; il sortit un petit couteau et voulut se précipiter sur celui qui avait prononcé cette parole malencontreuse. On dut se mettre à plusieurs pour le retenir ; les yeux hors de la tête, il grondait : « Dispersés ! c’est à toi qu’on va disperser, attends, un homme il en retrouve toujours un autre, sur la route ! »
    À Buchenwald, je ne vis, au début de 1944, que peu de tsiganes. C’étaient presque tous des tsiganes d’Allemagne (quelques-uns de Bohême ou de Pologne), et ils logeaient tous au block 47, block des « noirs ». Les tsiganes portaient en effet sur la poitrine, au-dessus de leur numéro matricule, un triangle noir ; alors que les prisonniers politiques en avaient un rouge, les prisonniers de droit commun (à peu près tous allemands) un vert, les opposants religieux un violet, etc. Ils n’étaient pas les seuls à porter l’emblème noir qui était la marque distinctive des « a-sociaux » : vagabonds, forains, musiciens ambulants et ouvriers saboteurs.
    Ils n’étaient pas plus mal traités que les autres détenus, et si je n’en vis aucun affecté à l’usine – situation recherchée – c’est que le manque parmi eux de spécialistes les reléguait aux emplois de manœuvres, ce qui était également le cas, d’ailleurs, pour de nombreux « politiques ». Par contre, plusieurs d’entre eux avaient pu obtenir des emplois en rapport avec leurs capacités.
    Le départ au travail et le retour le soir au camp étaient rythmés de marches jouées par une clique aux uniformes multicolores ; plusieurs des musiciens étaient des tsiganes allemands. Enfin, l’un des emplois les plus enviés du camp était dévolu à un tsigane. Montreur d’ours, il lui incombait le soin de s’occuper de l’ours du camp. Buchenwald avait eu jadis un petit jardin zoologique et botanique, lieu de promenade pour les habitants de Weimar. Il en restait un enclos à singes, des chiens que l’on élevait pour les S.S. et un ours. Le tsigane à l’ours tirait de cette affectation des avantages appréciables, car il s’occupait également des chiens et élevait et engraissait des petits chiens dont il se régalait, ou qu’il échangeait avec des dignitaires du camp contre du tabac, du pain ou de la margarine.
    J’eus l’occasion de travailler comme manœuvre aide-maçon sous les ordres d’un « Vorarbeiter » (détenu ayant grade de contremaître), qui était un tsigane pur-sang. C’était un violoniste ambulant de Brunswick. Il était intelligent et connaissait bien son dialecte, malheureusement très germanisé, «  Kek stumpo po menge ? » étaient ses premiers mots lorsqu’il m’apercevait. Il appelait le « mégot » stumpo (all. Stumpf), la cigarette, pîmas, si elle était roulée, et tsigareto, si elle était toute faite.
    Fin mai 1944, des contingents de tsiganes de toute origine commencèrent à arriver du camp d’Auschwitz, en Galicie.

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