L'holocauste oublié
tard. L’Espagne enfin en 1425, les Pays-Bas en 1426 puis l’Angleterre et les pays nordiques dans les trente ans suivants. L’émergence du peuple tsigane sera accomplie en 1501, avec l’entrée en Russie.
Peuple errant, toujours sur la défensive parce que pourchassé, le tsigane n’a pas de « mémoire » et sa vérité, sans cesse travestie ou cachée pour échapper à l’infiltration et à la condamnation, a subi de telles altérations, retournements qu’il serait téméraire d’accorder la moindre valeur historique aux récits légendaires sur la patrie perdue.
Cependant, en 1840, le tsiganologue russe Michel Kounavine enregistrait, sous la dictée, deux « contes modernes ».
— « Dans ce pays où le soleil se lève derrière une montagne sombre, il y a une grande et admirable ville, riche en chevaux. Il y a bien des siècles, toutes les nations de la terre voyageaient vers cette ville, à cheval, à dos de chameau ou à pied… Tous trouvaient un refuge et un accueil. Et il y avait quelques-unes de nos bandes. Le souverain de cette ville les accueillait avec faveur. Il voyait que leurs chevaux étaient bien soignés ; il leur proposa de s’établir dans son empire. Nos pères acceptèrent, plantèrent leurs tentes dans les prairies fertiles. Là ils vécurent longtemps, contemplant avec reconnaissance la tente bleue des cieux… Mais la destinée et les esprits du mal voyaient avec chagrin la félicité du peuple rom. Alors ils envoyèrent des méchants cavaliers khoutsi dans ces places heureuses, qui mirent le feu aux tentes du peuple heureux, et après avoir passé les hommes au fil de l’épée, emmenèrent les femmes et les enfants en esclavage. Cependant, beaucoup s’échappèrent, et depuis ce temps ils n’osent pas rester longtemps en une même place. »
— « Il y a longtemps, longtemps, quand nos ancêtres ne savaient rien des chevaux rapides, et lorsque, comme les autres races, ils vivaient dans des maisons de bois et de pierre, une grande affliction vint à notre peuple… Traités comme des parias méprisés de l’humanité, nos ancêtres vécurent leur existence dans une crainte constante, tremblant devant chaque soldat ou fermier, parce qu’il avait le droit de tuer tout fils de notre race… De nouveaux ennemis arrivaient des hautes montagnes ; ils gorgèrent de notre sang nos prairies, nos champs et nos jardins ; ils croyaient que notre race allait périr. Mais « la déesse » Laki en décida autrement ; elle envoya des chevaux rapides pour sauver notre peuple de la mort. Des milliers de chevaux galopaient de la montagne, et nos ancêtres les prirent pour fuir loin de l’ennemi. Le peuple rom fuit sur ces chevaux, comme fuit le cerf devant le loup. C’est pour cela qu’ils fuient, même jusqu’au jour présent, parce qu’ils sont toujours environnés par les ennemis. »
Aujourd’hui cette « version » de sang et de larmes n’est plus retenue par les « diseurs » européens du passé tsigane. Les Hongrois, Bulgares et Roumains ont adopté une légende soi-disant transmise de père en fils qui veut que les tsiganes vivaient heureux dans un pays aussi riche qu’ensoleillé. Une contrée bénie du nom de Sind dont le roi, Sep ou Dep avait deux frères… mais les musulmans arrivèrent… On devine la suite : les trois frères rassemblèrent les survivants de leur famille et prirent la route de l’exil.
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Les premiers contacts établis entre les « voyageurs » et les « lettrés » des régions traversées, qui vont porter témoignage pour l’Histoire en décrivant ces rencontres, sont bien évidemment à l’origine de tous les préjugés. De ceux-là même que le XX e siècle a été incapable d’effacer. L’inventaire des pseudo-crimes tsiganes est trop connu pour y revenir en détail. Ils vont du simple larcin – poulailler et tire-bourse – à l’accusation de séquestration d’enfants et de cannibalisme. Membres de cette civilisation de l’errance qui marqua l’ensemble du Moyen Âge, il était facile de porter à leur crédit les forfaits impunis des autres nomades : vagabonds, mercenaires, bandes armées, pillards, fuyards de toutes les épidémies et pourquoi pas suiveurs des routes de pèlerinage. Dans bien des cas, la rumeur prévenant, le crime suivra. N’est-il pas la conséquence logique de ce climat de peur ou d’angoisse, de méfiance et d’agressivité qui contraint le rejeté, toujours poussé
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