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L'holocauste oublié

L'holocauste oublié

Titel: L'holocauste oublié Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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cheveux qui commençaient à repousser. La jeune femme était mariée, avait perdu une fillette de deux ans à Auschwitz et son mari était « quelque part » dans un camp de travail. Dans les lits des morts on trouvait de petites croix en bois peint (faux ébène) avec un Christ en métal blanc. J’en reçus deux ou trois offertes par des amis tsiganes, que je pus conserver jusqu’à la fouille qui précéda le départ de Birkenau.
    — L’âme des tsiganes était un trésor d’amitié, de foi, de courage, de délicatesse. Bien peu nombreux étaient les rusés, les faux-frères.
    — Lorsque nous retournâmes, un autre jour, dans le Block de Trude et Resi, celle-ci était occupée à faire le ménage. Dans les Blocks il n’y avait pas de sièges ; les quelques tabourets étaient réservés aux chefs et aux secrétaires. On s’asseyait sur la cheminée horizontale quand elle n’était pas brûlante ou glacée, mais surtout sur le bord des lits, afin de ne pas déranger la couverture. Pour faire le lit, il fallait monter sans chaussures sur les planches qui l’encadraient. La mère rappela à Resi qu’elle avait à faire les lits. La jeune fille ôta ses souliers et sauta lestement sur le bord du lit inférieur, et s’étant agrippée des deux mains au bord du lit supérieur, elle posa les deux pieds sur le bord du lit moyen afin de commencer par le haut. Nous étions assis sur le lit inférieur voisin et n’avions devant les yeux que le cadre rectangulaire limité par les planches, semblable à une scène de marionnettes, où se mouvait la jeune ménagère. Celle-ci se déplaçait pour atteindre les extrémités et les bords du lit. Nous ne voyions de la jeune fille que les jambes un peu au-dessus des chevilles et les pieds. L’admirable architecture du pied se révélait ici dans toute la splendeur de sa nudité, vivante et hors du contexte du corps. Il fallait garder l’équilibre et suivre le travail des bras et des mains qui balayaient l’éternelle poussière de bois des paillasses et rajustaient les traverses formant le fond du lit. C’était le travail qui exigeait le plus de soin car les traverses, minces et flexibles, parfois trop courtes, se déplaçaient facilement, souvent au plus léger mouvement. Plus d’une fois, les occupants de l’étage supérieur tombaient comme par une trappe brusquement ouverte sur les occupants de l’étage moyen, puis, entraînant ceux-ci par le phénomène d’avalanche, tombaient sur les occupants de l’étage inférieur et enfin tous ensemble étaient reçus par le sol de béton ou de terre battue où chacun devait chercher et retirer ses membres et sa tête de l’enchevêtrement. Cela arrivait surtout la nuit et le vacarme et les imprécations réveillaient toute la population du Block.
    — Et quel travail ensuite pour retrouver, à tâtons, les couvertures dans cette mêlée. Le calme revenait vite, mais on passait le reste de la nuit chez les voisins ou amis et le lendemain on démontait et remontait les planches. C’est dire avec quel soin on procédait à la stabilisation des traverses.
    — Les pieds de Resi, dans l’ardeur et l’application de son travail, exécutaient des pointes, des mouvements de rotation, des glissés, s’écartaient, se rapprochaient et c’était une animation incessante où se formaient et disparaissaient des reliefs arrondis, allongés, des fossettes, des gorges, où les couleurs passaient du rose au bleu pâle, de l’incarnat au blanc. Les orteils, par un mouvement de balancier, participaient à cet effort d’équilibre sur une planche posée de chant, et par le jeu tendu des muscles, tantôt ils devenaient exsangues, tantôt le sang y affluait et ils semblaient tantôt de prodigieuses perles de nacre, tantôt des perles de corail. Ces variations de couleurs et ces figures désordonnées et gracieuses, dont la chorégraphie ignorée était réglée par l’humble tâche ménagère du camp de concentration, composaient une danse insolite que nous, spectateurs et admirateurs aussi insolites, pouvions déchiffrer : c’était la répétition inconsciente de quelques-uns des gestes rudimentaires de l’homme primitif qui sont à l’univers de la danse ce que la nébuleuse est au système solaire. La jeune fille interrompit son travail pour nous dire au revoir et nous rentrâmes au Revier, le cœur et les yeux enrichis de dons d’amitié et de beauté.
    — Le lendemain, un nouveau transport arriva sur le quai

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