L'holocauste oublié
de débarquement. Comme chaque fois que les transports reprenaient après un arrêt de quelque temps – et qu’on espérait définitif – les tsiganes étaient consternés. Hanka, la Pflegerin polonaise, regardait immobile avec une profonde tristesse la marche lente du convoi vers les chambres à gaz. On voyait distinctement des enfants sortir des rangs et se poursuivre en jouant et des S.S. leur caresser la tête. Arrive un Pfleger polonais, un intellectuel « libéral ». Ému par l’attitude accablée de Hanka, il lui mit paternellement une main sur l’épaule et lui demande avec « douceur » :
— « Pourquoi te tourmentes-tu ?
— « Je regarde ces gens infortunés, répond Hanka.
— « Existe-t-il une autre solution ? »
Les jumeaux de Mengele.
— Un jour (72) je me suis trouvé dans l’obligation d’accompagner mon chef de block pour la désinfection des cellules des condamnés à mort et celles où le docteur Mengele faisait enfermer des enfants pour ses expériences. Après trente ans, le souvenir de ces « images » me fait frémir d’horreur. Dans une cellule de un mètre cinquante au carré, sans fenêtre, le chauffage central marchant à fond en plein mois d’août, deux enfants tsiganes, nus, accroupis sur le sol cimenté. Ils n’avaient plus aucun réflexe. Ils sont restés inconscients quand je les ai aspergés d’un liquide soi-disant désinfectant. J’ai su par la suite qu’il s’agissait de frères jumeaux en « attente » d’expérimentations.
— Face (73) à la nôtre il y a une baraque avec des enfants de six à quatorze ans environ. J’y fais parfois fonction d’infirmier. Ces pauvres enfants, arrachés à leurs parents, ont encore la chance d’être vivants, parce qu’ils sont tous jumeaux. Leur survie est due à une manie du médecin S.S. Mengele qui se livre sur eux à des expériences de génétique. Pendant plusieurs jours je suis, avec mon ami Riquet, de service de tinettes à cette baraque d’enfants. Cela consiste à transporter des récipients cylindriques, contenant environ 50 litres de matières, au pas de course jusqu’à la baraque des cabinets où nous les vidons. Les tinettes sont constamment trop remplies et leur contenu nous coule sur les doigts, et les anses entament mes doigts dont la peau est toujours restée très fragile, depuis le portage de briques. Ces enfants innocents, arrachés brutalement au banc de l’école, cherchent appui auprès de nous, et nous avons du mal à dissimuler devant eux la pitié et la rage impuissante que ce spectacle suscite en nous.
— Je (74) me souviens fort bien de Mengele : les enfants l’appelaient « l’oncle Mengele ». Quand il arrivait au camp des gitans, les enfants allaient à sa rencontre, car il leur apportait souvent du chocolat en inspectant ses seize couples de jumeaux sur lesquels il pratiquait ses expériences. Un jour il vint lui-même pour les mener au crématoire. Les enfants semblaient pressentir ce qui les attendait. Ils le suppliaient de les laisser en vie. Mengele les rassura, les fit monter dans sa voiture et les conduisit lui-même au crématoire.
— Là les enfants pleurèrent de nouveau. Mengele les fusilla de sa propre main (75) .
— Dès (76) leur arrivée au camp, les jumeaux étaient photographiés sous tous les angles et les expériences commençaient. Elles étaient, au meilleur cas, d’une puérilité déconcertante. On injectait par exemple à l’un des jumeaux certaines substances chimiques et on guettait la réaction, si toutefois on ne l’oubliait pas. Mais même quand on suivait les conséquences, la science n’y trouvait aucun profit pour cette simple raison que le produit injecté n’offrait aucune espèce d’intérêt. Tel produit, par exemple, était censé influencer sur la pigmentation des cheveux. On perdait alors de longues journées à peser les cheveux et à examiner leur coloration au microscope, après quoi, comme les résultats n’offraient rien de sensationnel, on laissait tomber l’expérience.
— Le docteur Mengele se passionnait aussi pour les nains. Il les collectionnait avec un soin jaloux. Le jour où il découvrit dans un convoi nouvellement arrivé une famille de cinq nains, il exulta de joie. Mais c’était plutôt une manie de collectionneur qu’un dada de savant. Les observations auxquelles il prétendait se livrer se réduisaient en réalité à bien peu de chose. Mais Mengele n’avait de compte
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