L'Homme au masque de fer
devrait-elle y être consacrée.
Il lui tardait de pouvoir repartir, afin de mettre lui-même le cardinal de Richelieu au courant. Déjà, le baron de Savières avait dû lui raconter ce qui s’était passé au château de Montgiron. Mais Durbec connaissait le capitaine des gardes. C’était un rude soldat, qui ne saurait pas présenter l’histoire de façon que le ministre conçoive pour ses adversaires une de ces haines terribles qui ne désarment pas. Tandis que lui, Durbec, saurait y glisser quelques perfidies propres à exciter la colère du grand cardinal.
Enfin, ce jour tant attendu arriva. Après avoir visité sa blessure une dernière fois, le médecin qui le soignait lui déclara :
– Votre plaie est cicatrisée. Je crois que vous pourrez repartir lorsque vous le désirerez.
Il y avait longtemps que l’espion du cardinal attendait cette nouvelle. Aussi poussa-t-il un profond soupir de joie à cette annonce. Mais lorsque le brave Barbier de Pontlevoy apprit que son pensionnaire forcé allait repartir, il leva les bras au ciel :
– Je vous regretterai ! affirma-t-il. Avec qui donc vais-je pouvoir faire ma partie de piquet, désormais ?
– Bast ! répondit Durbec, qui se moquait bien de la partie de son amphitryon, vous engagerez l’un de vos hommes, ce brave Sans-Plumet, ou bien Passe-Poil, pour vous servir de partenaire !
Le lendemain matin, l’homme du cardinal put enfourcher le cheval que le gouverneur lui prêta. Et après un dernier échange de compliments, le cavalier piqua des deux vers la capitale, un peu étourdi par le grand air, mais complètement guéri.
Sa monture était excellente ; néanmoins, il lui semblait qu’elle piétinait. Il labourait les flancs de la pauvre bête, penché sur l’encolure. Toute sa vigueur lui était revenue. Le démon de la vengeance le portait en avant.
Enfin, après quatre jours de marche forcenée, il distingua les murs de la capitale ! Il poussa un soupir d’aise : dans deux heures, il serait auprès du cardinal-ministre.
Celui-ci était dans son cabinet de travail lorsque Durbec se fit annoncer. Il leva sa tête, que la maladie et les soucis creusaient, et répondit simplement, en reposant sa plume d’oie :
– Qu’il entre !
Quelques secondes plus tard, le personnage était introduit. Il s’avança d’un pas rapide vers Richelieu, puis, à quelques pas, s’immobilisa dans un profond salut, attendant que son maître veuille bien le questionner.
Celui-ci le considéra un instant, sans grande bienveillance. Il connaissait le Durbec depuis longtemps, et, s’il l’utilisait, ne pouvait guère concevoir de l’estime pour lui.
– Eh bien ! monsieur ! dit-il enfin, en lui faisant signe d’approcher, quelles nouvelles m’apportez-vous ?
– Votre Éminence doit les connaître déjà, répondit Durbec. M. de Savières a dû vous les communiquer…
– Vous devez vouloir parler de l’attaque, du château de Montgiron ?
– Oui, Éminence ! Suivant vos ordres, la duchesse de Chevreuse et l’enfant…
Richelieu l’interrompit.
– Je sais… je suis au courant… Avouez, monsieur, que vous n’avez pas eu le beau rôle ?
Le ton était sarcastique. Durbec blêmit de colère.
– Que votre Éminence daigne nous excuser ! Mais ces endiablés…
– Oui, oui… Ce fut là un joli coup de force ! Ces hommes sont étonnants…
– L’un d’eux, appelé Castel-Rajac, m’a pourfendu d’un coup d’épée qui m’a forcé à rester étendu plus de trois semaines, Votre Éminence… C’est pourquoi je n’ai pu venir vous rendre compte plus tôt de ma mission…
– Savières m’a conté… Je regrette le coup d’épée pour vous, mais il fallait prêter plus d’attention, monsieur de Durbec…
– Ah ! Monseigneur ! Sans eux, nous obtenions enfin la vérité sur l’enfant ! La duchesse et ses amis vous ont indignement joué. Monseigneur…
Une ombre de sourire erra l’espace d’une seconde sur les lèvres du grand cardinal.
– La poupée mise à la place du bébé… Je sais… Ces Gascons ont vraiment une imagination étonnante !
Durbec manqua étouffer de rage en voyant Richelieu dans cette disposition d’esprit. Attendre des cris de colère et des sanctions terribles, et ne voir qu’un calme presque indifférent était pour lui une surprise aussi désagréable que consternante.
– Que Votre Éminence m’excuse ! parvint-il à balbutier. Mais ne croyez-vous pas qu’en
Weitere Kostenlose Bücher