L'Homme au masque de fer
voulu. Sois tranquille : quelque chose me dit que cela ne durera pas !
Cependant, en ces heures troubles, un personnage qui s’était fait un peu oublier pendant ces derniers temps reparut. C’était Durbec.
Après la bataille du faubourg Saint-Antoine, Condé s’était installé à Paris.
Durbec, avec sa souplesse coutumière, avait réussi à se glisser dans l’entourage du puissant du jour. Il tressaillit de joie lorsque, peu de temps après, un officier de la troupe de Condé lui dit :
– Monsieur le Prince a pris une excellente résolution : il va purger la capitale de tous les partisans du Mazarini… Il a déjà fait exécuter les bourgeois réfugiés à l’Hôtel de Ville…
À ces mots, Durbec tressaillit d’aise.
– C’est en effet un projet digne de l’énergie et de la volonté que montre Monseigneur à assainir la capitale et faire entendre raison à la Régente…
L’officier baissa un peu la voix.
– Le Mazarin n’en a plus pour longtemps… Monsieur le Prince se fera nommer ministre à sa place, et on obligera Sa Majesté à renvoyer son Italien à sa bonne ville de Florence, qu’il n’aurait jamais dû quitter !
– Dites-moi, mon cher, interrogea doucereusement Durbec, savez-vous les noms de ceux que Monseigneur compte supprimer de sa route ?
– Il m’en fit dresser la liste voici à peine deux heures !
– Quoi ! Serait-ce vous qui êtes chargé de nommer tous les suspects ?
– Je les note, en effet, car dès ce soir, ils seront exécutés… Ce sera une petite Saint-Barthélémy !
Il fit un geste.
– C’est triste… Mais peut-on faire autrement ?
– Certainement que non ! s’écria Durbec, et j’approuve Monseigneur de toutes mes forces… Lui seul, par sa naissance, son intelligence et son énergie, est digne d’administrer la France à la place de ce rustre d’Italien que la reine protège, on sait pourquoi ! Mais je pourrais peut-être vous donner une indication utile à ce sujet… Je connais personnellement trois individus, fort dangereux, entièrement dévoués à la cause de Mazarin, et qui devraient figurer en premier sur votre liste noire.
– S’il en est ainsi, ils y figurent sûrement ! affirma l’officier. Dites-moi leurs noms ?
– Il s’agit du chevalier de Castel-Rajac, Hector d’Assignac et Henri de Laparède !
– Non, je n’ai pas ces noms-là, c’est vrai, convint l’officier. Et vous dites que ce sont des fidèles du signor Mazarini ?
– Dites qu’ils se feraient tuer pour lui ! affirma l’espion.
– Que font-ils ? Où sont-ils ?
– Ils font partie du corps des mousquetaires du roi !
L’autre fit une grimace.
– Très dangereux… murmura-t-il.
– Très dangereux surtout pour Monseigneur. Ces hommes ont le diable au corps, mon cher ! Croyez-moi : n’hésitez pas !
– Ils sont probablement à Saint-Germain. Nous ne pouvons aller jusque-là ! Notre action se borne à la capitale !
– Ce soir, ils seront à Paris, ou presque : j’ai aussi ma police, et je sais qu’ils doivent coucher à l’auberge du Vieux-Bacchus, la première taverne sitôt passées les fortifications, en se dirigeant vers Vincennes !
– En ce cas, concéda l’officier, peut-être pourrons-nous agir, en effet. Je vous remercie du renseignement, j’espère que nous pourrons en débarrasser Monsieur le Prince…
Ils se séparèrent après s’être serré la main, et partirent chacun de leur côté : l’officier pour ajouter à sa liste le nom des trois gentilshommes gascons, et le chevalier de Durbec, jubilant et se frottant les mains, à l’idée que grâce à cet événement, il verrait enfin sa vengeance assouvie sans risque pour lui !
Les trois amis avaient bien formé le projet de passer la nuit dans l’auberge qu’il avait désignée au frondeur. La route était longue, du faubourg Saint-Antoine jusqu’à Saint-Germain ; et après avoir attendu quarante-huit heures afin de savoir s’il n’y aurait pas contre-attaque, ils avaient décidé de rentrer à la Cour en attendant les nouveaux événements. Mais, cette nuit encore, ils coucheraient au Vieux-Bacchus, qu’ils avaient élu comme gîte.
Tandis que les autres mousquetaires campaient avec l’armée royale, un peu plus loin, les trois Gascons avaient préféré une bonne table au menu incertain de la troupe.
De plus, la fille de l’aubergiste, une jolie fille de seize ans, assurait le service, ce qui n’était
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