L'homme au ventre de plomb
laissa le
garde du corps aux mains des magistrats. Il courut faire son rapport
à M. de Saint-Florentin qui le chargea de suivre de bout en
bout cette affaire. Fort tard, il retrouva M. de La Borde qui était
demeuré auprès du roi. Celui-ci s'apprêtait Ã
passer une nuit d'inquiétude. Le fait que l'un des agresseurs
était supposé être habillé en
ecclésiastique conduisait certains à franchir le pas et
là affirmer qu'il s'agissait d'un jésuite et qu'il
fallait incontinent chasser la Société du royaume.
Nicolas informa son ami du dernier état de l'enquête,
Les jésuites pouvaient encore dormir tranquilles : ils
n'étaient nullement impliqués dans la tentative
médiocre d'un petit imposteur sans envergure. En revanche,
songeait Nicolas, la favorite risquait sans doute de passer par des
transes éprouvantes au su d'une affaire si grave et qui
compromettait, qu'elle le veuille ou non, un de ses serviteurs
occultes.
Le lendemain, la
capitale fut informée du forfait et fut saisie d'épouvante
ou d'ironie. Mais l'enquête se poursuivant et apportant des
éléments nouveaux, chacun fut bientôt convaincu
que le garde du corps était bien un fourbe réfléchi.
Les interrogatoires serrés auxquels il fut soumis montrèrent
qu'il avait conçu son plan coupable dès le mois
d'octobre précédent. On apprit ainsi qu'il avait fait
affuter un grattoir par un coutelier de Versailles, arme avec
laquelle il avait tranché ses habits et s'était
superficiellement coupé. Ceux qui étaient mieux
informés colportèrent que ce malandrin sans caractère
touchait au cercle le plus étroit de Madame Adélaïde,
qui marquait toujours son faible pour les protestants convertis sans
réflexion ni précaution. A aucun moment, Nicolas
n'entendit évoquer la possibilité d'une collusion entre
Truche de La Chaux et Mme de Pompadour. Tout cet aspect de l'affaire
paraissait environné du secret le plus opaque.
Le 10 janvier,
Truche de La Chaux fut emprisonné à la Bastille, puis
transféré de la prison d'État au grand Châtelet
pour son procès. De fait, la procédure aurait dû
se dérouler devant le grand prévôt Ã
Versailles, où s'étaient produits les faits, mais le
transport à la Bastille l'avait tiré de la juridiction
ordinaire. Il n'y eut ni témoin ni confrontation. On évoqua
les précédents : en 1629, un soldat avait été
rompu pour des faits identiques ; sous Henri III, un autre coupable
avait été décapité. Truche ne fit pas
usage de ses lettres de noblesse qui lui auraient permis d'être
jugé par un autre tribunal. Le Parlement, par son arrêt
du 1er février 1762, le condamna « à être
mis dans un tombereau en chemise, la corde au cou, torche à la
main, avec un écriteau devant et derrière portant
l'inscription “fabricateur d'impostures contre la sûreté
du roi et la fidélité de la Nation", à être
conduit dans cet état dans différents quartiers de
Paris, Ã faire amende honorable devant Notre-Dame, au Louvre
et à la Grève et, après avoir subi la question
préalable, à être rompu vif ».
Le lendemain de
cette condamnation, Nicolas reçut par un messager une
instruction orale de M. de Saint-Florentin d'avoir à visiter
Truche de La Chaux, qui se trouvait à la Conciergerie dans
l'attente de son exécution. Il fut un peu étonné
de la manière dont cette injonction sans explication lui
parvenait. Il regagna Paris. Sa tâche à Versailles était
d'ailleurs achevée, et il devait maintenant se mettre au
travail pour rédiger son mémoire sur la sûreté
du roi au château. Cette étude prenait d'autant plus
d'importance après les derniers événements, qui
avaient démontré de fâcheuses lacunes dans ce
domaine.
A la Conciergerie,
il se fit reconnaître, mais tout se déroula comme s'il
eût été annoncé et qu'on attendît sa
visite. Il parcourut avec le geôlier, dans le tintement du
trousseau des grosses clefs, les galeries sombres de l'écrou.
Ils s'arrêtèrent devant une lourde porte de bois
renforcée de fer et munie d'un guichet. Plusieurs serrures
furent actionnées et on le fit entrer dans le cachot du
prisonnier.
Tout d'abord, il
ne vit rien : une faible clarté tombait d'une
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