L'homme au ventre de plomb
Chaux, dont la mort terrible et ignoble était si proche, de
déférer à sa dernière demande ? Il estima
ne pas pouvoir refuser. Il réfléchit aussi que s'il
était là , dans ce cachot, ce n'était pas de son
fait mais parce que M. de Saint-Florentin lui avait ordonné de
s'y rendre. Il pensa aux propres relations existant entre le ministre
et la marquise. Peut-être toutes ces puissances étaient-elles
tombées d'accord pour qu'il fut leur messager vers un condamné
à la veille de son exécution ? Que risquait-il ? Il
rendrait compte et transmettrait et n'aurait pas sur la conscience le
remords d'avoir refusé quelque chose à un homme qui
allait quitter ce monde.
– Soit,
monsieur. Comment souhaitez-vous procéder ?
– Je n'ai
pas le droit d'écrire. Auriez-vous le nécessaire sur
vous ?
Nicolas fouilla la
poche de son habit. Il y trouva son contenu habituel : son calepin
noir, une mine de plomb, un canif un bout de ficelle, un mouchoir,
une tabatière et du pain à cacheter.
– Une page
de ce calepin et ce crayon feront-ils l'affaire ?
– Cela
conviendra.
Nicolas détacha
le papier fragile le plus proprement possible, le lissa et le tendit
avec la mine au prisonnier. Celui-ci plaqua le papier contre la
muraille et, après avoir humecté la pointe du crayon,
se mit à écrire en très petits caractères.
Nicolas constata qu'il n'y avait aucune hésitation dans la
rédaction et qu'il avait dû songer longtemps auparavant
à ce qu'il désirait transmettre. Il rédigea
ainsi une vingtaine de lignes serrées puis replia
soigneusement la feuille comme s'il se fût agi d'une petite
lettre. Il regarda Nicolas d'un air gêné.
– Monsieur
Le Floch, ne vous méprenez pas sur ma requête : je
souhaite seulement vous protéger. Il vaut mieux pour vous ne
pas connaître le contenu de ce message. Je sais que vous
respecteriez mon vœu de l'ignorer, mais je ne sais si son
destinataire aura les mêmes raisons de vous faire confiance.
Aussi, je vous le demande, comment cacheter ce pli ?
– Sans
aucune difficulté. J 'ai là du pain à cacheter
qui me sert à poser les scellés. Je vous en donne un
morceau, vous fermez votre pli, et vous signez en travers.
Truche soupira
comme si un poids pesant lui était ôté de la
poitrine. Nicolas songea que, dans le malheur, l'homme avait recouvré
comme une nouvelle dignité. La personnalité médiocre
et même un peu vulgaire avait laissé la place Ã
un être souffrant, mais qui paraissait comme apaisé par
la certitude de son destin. Le temps des adieux était venu.
Nicolas plaça le billet dans son habit. Au moment de sortir du
cachet, il s'adressa une dernière fois au prisonnier.
– Pourquoi
moi ?
– Parce que
vous êtes un honnête homme.
Il frappa Ã
la porte. La clef joua dans la serrure. Le geôlier apparut et
récupéra sa torche. Le visiteur se retourna et
s'inclina en direction du prisonnier dont la silhouette s'était
déjà fondue dans l'ombre.
Nicolas avait
craint que quelque difficulté ne s'élevât pour
l'empêcher de rencontrer Mme de Pompadour ; il n'en fut rien.
Dès que son désir fut communiqué à M. de
Sartine, à qui il ne dissimula rien, tout obstacle fut écarté
et sa mission s'en trouva à l'instant facilitée. Le
lieutenant général de police, sans feindre d'avoir Ã
en référer à son ministre, le pressa de se
rendre aussitôt au château de Bellevue, où
résidait la favorite. Il pouvait être sûr qu'elle
le recevrait aussitôt, Il lui conseilla de prendre le meilleur
coureur des écuries de la rue Neuve-des-Augustins et de brûler
le pavé pour rejoindre Sèvres dans les plus brefs
délais. Nicolas, désormais suffisamment averti des
habitudes du pouvoir, soupçonna, derrière cette hâte
et les facilités accordées à sa mission, comme
une volonté de faire aboutir une démarche dont la
signification lui demeurait obscure.
Dès son
arrivée au château de Bellevue, il fut introduit dans
les appartements de la marquise. Dans un boudoir blanc et or,
beaucoup trop chauffé à son goût par un grand feu
ronflant, la dame l'attendait dans une vaste bergère noyée
dans des flots de tissus gris et noir. Il se souvint que la
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