L'honneur de Sartine
compagnie vient d’adresser au Magistrat une lettre dans laquelle sont révélées des présomptions de détournements de fonds confiés au dit notaire par plusieurs familles distinguées du royaume. Il sera sous peu convoqué devant ses pairs pour s’en expliquer.
– Jésus, Marie, Joseph ! s’écria le commissaire. J’irai porter un gros cierge à la Chapelle 57 à mon saint patron Nicolas qui est également celui des notaires ! Nous tenons cette canaille. Encore faut-il être assuré que…
– Que se passera-t-il, demanda Gremillon, une fois que nous aurons signifié à ceux qui nous guettent que nous sommes disposés à l’échange ?
Bourdeau approuva, ce que nota Nicolas.
– Reprenons notre plan, dit-il, là où nous l’avions laissé. Plusieurs interrogations. Pourquoi nos adversaires sont-ils assurés que nous détenons le document en question ?
– Je pense, murmura Bourdeau après un temps de réflexion, que ton départ précipité de Versailles, et cela en dépit des précautions prises, n’est pas passé inaperçu et que des conclusions hâtives en furent tirées qui ont accéléré le mouvement.
– Cela me paraît insensé de leur part. Si nous détenions le papier, nous n’en disposerions plus, l’ayant remis à qui de droit !
– Ou alors ils parient sur la chose et, détenant des prisonniers, ils en usent et escomptent notre faiblesse. Or notre force réside dans le fait qu’ils igno
rent que Naganda et le cocher ont été libérés. Tant que cette ignorance persistera, nous l’emportons sur eux.
– Viendra pourtant le moment de l’échange. C’est bien là le hic ! Et pour eux, et pour nous !
– J’en viens à penser que rien ne peut se préparer à l’avance et que c’est au fur et à mesure du déploiement des faits que notre action pourra être envisagée. Reste que toutes les précautions doivent être prises. Renforcement invisible autour du Combat du Taureau.
– Et même place du Châtelet. Elle n’est point si grande qu’on ne puisse repérer qui lorgnera la croisée. Peuplons-la de mouches en quantité et de malins vas-y-dire . Surveillance permanente de l’étude de maître Gondrillard, place Dauphine, encore que je ne le vois pas pousser la maladresse jusqu’à risquer qu’un de ses sicaires nous conduise jusqu’à lui.
– Un homme à une croisée avec une lunette d’approche réduirait à quia toutes ces belles précautions !
– Pierre, tu as raison. Et d’ailleurs, ont-ils vraiment l’intention de nous rendre les otages ? Ils les ont abandonnés, blessé pour l’un, sans eau ni nourriture depuis trois jours. Veut-on que nous les retrouvions trépassés ? Grâce à Pluton, ils sont saufs !
– Nous voilà tournant en rond comme toupies cinglées par le fouet. Point d’a priori. Fions-nous à notre bonne étoile. Persuadons-nous que leurs incertitudes sont encore plus grandes que les nôtres. Sergent, merci de votre aide. Soyez encore avec nous demain, dès sept heures.
Gremillon salua les deux policiers et sortit du bureau de permanence. Nicolas demeurait silencieux. Il avait ouvert la main courante et, d’une plume
alerte, il consignait un bref compte rendu des événements de la journée.
– Le sergent nous a été fort utile, dit Bourdeau. L’homme est décidé, ouvert. Tu avais déjà éprouvé ses qualités.
– Certes, à deux reprises. Il les gâche un peu dans sa patrouille et semble s’y ennuyer. Il en déplore la routine.
– Il me vient une idée. Demandons à M. Le Noir d’écrire au lieutenant du guet de l’affecter au service des affaires extraordinaires.
Bourdeau parlait les yeux baissés, sans regarder Nicolas.
– C’est une idée… Il serait ton adjoint. Cela te libérerait un peu de ce temps que tu regrettes ne pouvoir consacrer à ta famille.
– Il me semble en effet que nous pourrions lui donner sa chance. Cependant je t’abandonne la chose.
– Voyez donc le matois ! s’écria Bourdeau qui depuis un moment se contenait difficilement.
– Que veux-tu dire ? dit Nicolas qui feignait de se consacrer à son travail avec d’autant plus d’attention qu’il s’égarait sur la réaction de son ami.
– Voyez le fin jouteur qui fait l’ignorant ! Oui, la belle éducation reçue chez tes jésuites de Vannes ! Elles sont admirables, les voies détournées empruntées pour faire passer ce que tu supposes insoutenable. Et comment peux-tu imaginer que je prendrais ombrage
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