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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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douce qui l’accompagnerait toute sa vie.
    À présent, sur la Daphne, Roberto ouvrait les yeux et sans nul doute il entendait venir d’en bas, à travers les fissures du bois, les notes de «  Daphne  », comme jouée par un instrument plus métallique qui, sans oser de variations, reprenait à intervalles réguliers la première phrase de la mélodie, telle une ritournelle obstinée.
    Il se dit aussitôt que c’était un fort ingénieux emblème que d’être sur un fluyt nommé Daphne et d’entendre une musique pour flûte dite « Daphne ». Inutile de s’imaginer qu’il s’agissait d’un rêve. C’était un nouveau message de l’intrus.
    Une fois encore il s’était réarmé, il avait encore puisé des forces au tonnelet, et il avait suivi le son. Il paraissait venir du réduit des horloges. Mais, depuis qu’il avait dispersé ces machines sur le tillac, le lieu était resté vide. Il le revisita. Toujours vide, mais la musique venait de la paroi du fond.
    Surpris par les horloges la première fois, essoufflé à les porter la deuxième, il ne s’était jamais avisé de vérifier si cet espace arrivait jusqu’à la carcasse. S’il en avait été ainsi, la paroi du fond eût été recourbée. Mais l’était-elle ? La grande toile, avec sa perspective d’horloges, créait un leurre de l’œil, si bien que l’on ne comprenait pas à première vue si le fond était plat ou concave.
    Roberto allait arracher la toile, quand il se rendit compte que c’était une banne coulissante, comme un rideau. Et derrière le rideau se trouvait une autre porte, elle aussi fermée par un verrou.
    Avec le courage des dévots de Bacchus, et comme si d’un coup d’espingole il pouvait avoir raison de pareils ennemis, il pointa son arme, cria à grande voix (et Dieu sait pourquoi) « Nevers et Saint-Denis ! », donna un coup de pied à la porte, et se jeta en avant, impavide.

    L’objet qui occupait ce nouvel espace était un orgue, qui avait à son faîte une vingtaine de tuyaux et par leurs ouvertures sortaient les notes de la mélodie. L’orgue était fixé à la paroi et se composait d’une structure en bois soutenue par une armature de colonnettes en métal. Sur le plan supérieur se trouvaient au centre les tuyaux, encadrés de côté par des petits automates. Le groupe de gauche représentait sur une sorte de base circulaire une enclume à l’intérieur certainement creux, comme une cloche : autour de la base il y avait quatre figures qui bougeaient rythmiquement les bras en frappant la bigorne avec des martelets métalliques. Les martelets, de poids différents, produisaient des sons argentins qui ne détonnaient pas avec la mélodie chantée par les tuyaux, mais la commentaient à travers une série d’accords. Roberto se rappela les conversations à Paris avec un père des Minimes, qui lui parlait de ses recherches sur l’harmonie universelle, et il reconnut, plus par leur office musical que par leurs traits, Vulcain et les trois Cyclopes à quoi, selon la légende, se référait Pythagore quand il affirmait que la différence des intervalles musicaux dépend de nombre, poids et mesure.
    À droite des tuyaux, un petit amour battait (à l’aide d’une baguette sur un livre de bois qu’il tenait dans ses mains) la mesure ternaire sur laquelle se fondait la mélodie, précisément, de «  Daphne  ».
    Sur un plan juste inférieur, s’étendait le clavier de l’orgue dont les touches s’élevaient ou s’abaissaient en correspondance avec les notes émises par les tuyaux, comme si une main invisible courait dessus. Sous le clavier, là où d’habitude l’organiste actionne du pied les soufflets, s’insérait un cylindre autour duquel étaient fichées des dents, des pointes, en un ordre imprévisiblement régulier ou régulièrement inattendu, ainsi que les notes se disposent pour des montées et des descentes, des ruptures imprévues, de vastes espaces blancs et des pluies de croches sur les lignes d’une feuille de musique.
    Sous le cylindre était fichée une barre horizontale soutenant des leviers qui, au roulement du cylindre, en touchaient successivement les dents et, par un jeu de tiges à demi cachées, actionnaient les notes et celles-ci les tuyaux.
    Mais le phénomène le plus stupéfiant était la raison pour quoi le cylindre tournait et les tuyaux recevaient le souffle. Sur le côté de l’orgue était fixé un siphon de verre, qui rappelait par sa forme le cocon du ver

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