L'Ile du jour d'avant
sapin sec. Et avec le bois du charpentier manquaient les outils de charpenterie, scies, haches de différents formats, marteaux, et clous…
Y avait-il d’autres recoins ? Il refit le dessin et chercha à représenter le vaisseau non pas comme s’il le voyait de côté, mais comme s’il le regardait du haut de la hune. Et il décida que, dans la ruche qu’il imaginait, pouvait être encore insérée une cabane, sous la chambre de l’orgue, d’où l’on pût ensuite descendre sans échelle dans le boyau. Pas suffisant pour contenir tout ce qui manquait, mais en tout cas un trou en plus. Si, sur le plafond bas du boyau-impasse, il existait un passage, un pertuis par où se hisser dans ce tout nouvel espace, de là on pouvait monter aux horloges, et de là reparcourir tout le corps du navire.
Roberto était sûr à présent que l’Ennemi ne pouvait qu’être là. Il courut sous le tillac, s’enfila dans le boyau, mais cette fois-ci en éclairant le haut. Et il y avait un portillon. Il résista à sa première impulsion : l’ouvrir. Si l’intrus était là au-dessus, Il attendrait le moment où Roberto présenterait sa tête et aurait raison de lui. Il fallait le surprendre par où il ne s’attendait pas à l’attaque, comme on faisait à Casal.
Si là il y avait un vide, il confinait à l’espace du télescope, et c’est par là qu’on aurait dû entrer.
Il monta, passa par la soute, enjamba les instruments, et il se trouva devant une paroi qui – il le remarquait à peine maintenant, n’était pas du bois dur de la coque.
La paroi était assez fine : comme déjà pour pénétrer dans le lieu d’où provenait la musique, il avait donné un vigoureux coup de pied, et le bois avait cédé.
Il s’était trouvé dans la lumière blême d’un nid à rats, à peine fenêtré sur la carcasse ronde du fond. Et là, sur un grabat, les genoux presque au menton, le bras tendu pointant un pistolet d’arçon, il y avait l’Autre.
C’était un vieux aux pupilles dilatées, au visage desséché encadré par une barbiche poivre et sel, de rares cheveux blancs droits sur la tête, la bouche presque édentée aux gencives couleur myrtille, enseveli dans une étoffe qui sans doute avait été noire, désormais lardée de taches délavées.
Pointant le pistolet auquel on eût dit qu’il s’agrippait des deux mains, les bras tremblants, il criait d’une voix frêle. La première phrase fut en allemand, ou en hollandais ; la seconde, et il répétait sûrement son message, fut dans un italien laborieux, signe qu’il avait déduit l’origine de son interlocuteur en espionnant ses papiers.
« Si toi te bouges, moi je tue ! »
Roberto était resté si surpris par l’apparition qu’il tarda à réagir. Et ce fut un bien car il eut le temps de s’apercevoir que le chien de l’arme n’était pas levé, et que donc l’Ennemi n’était pas fortement versé dans les arts militaires.
Alors, il s’était approché de bonne grâce, avait saisi le pistolet par le canon et essayé de l’ôter de ces mains serrées sur la crosse, tandis que la créature poussait des cris courroucés et teutons.
Non sans peine Roberto lui avait enfin soustrait l’arme, l’autre s’était laissé glisser et Roberto s’était agenouillé pour lui soutenir la tête.
« Monsieur, avait-il dit, je ne veux pas vous faire de mal. Je suis un ami. Compris ? Amicus ! »
L’autre ouvrait et fermait la bouche, mais il ne parlait pas ; on ne lui voyait que le blanc des yeux, autrement dit le rouge, et Roberto craignit qu’il ne fût sur le point de mourir. Il le prit dans ses bras, fluet comme il était, et le porta dans sa chambre. Il lui offrit de l’eau, lui fit avaler un peu d’eau-de-vie, et l’autre dit « Gratias ago, domine », leva la main comme pour le bénir, et c’est alors que Roberto se rendit compte, en considérant mieux son vêtement, que c’était un religieux.
21.
Telluris Theoria Sacra
Nous n’allons pas reconstruire le dialogue qui avait suivi pendant deux jours. D’autant que, à partir de maintenant, les papiers de Roberto deviennent plus laconiques. Comme ses confidences à la Dame étaient sans doute tombées sous des yeux étrangers (il n’eut jamais le courage d’en demander confirmation à son nouveau compagnon), durant de nombreux jours il cesse d’écrire et enregistre sur un mode beaucoup plus sec ce qu’il apprend et ce qui arrive.
Or donc Roberto se trouvait devant
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