L'Ile du jour d'avant
Espagnols cherchent depuis des dizaines d’années et nous aurons dans le même temps en main le secret du Punto Fijo . La bière, Cavendish, nous devons boire à Sa Majesté, que Dieu toujours la sauve.
— Dieu sauve le roi », dirent d’une seule voix les trois autres, et ils étaient évidemment tous quatre, hommes de grand cœur, encore fidèles à un monarque qui, en ces jours-là, s’il n’avait pas déjà perdu la tête, était du moins sur le point de perdre le royaume.
Roberto faisait travailler son esprit. Quand, au matin il avait vu le chien, il s’était rendu compte qu’en le caressant il s’apaisait et que, l’ayant touché à un moment donné d’une manière brusque, il avait geint de douleur. Il suffisait de peu, sur un navire agité par la mer et le vent, pour susciter dans un corps malade des sensations diverses. Peut-être ces gens mauvais croyaient-ils recevoir un message de loin, et en revanche le chien souffrait-il et éprouvait-il un soulagement selon que les vagues le dérangeaient ou le berçaient. Ou encore, si les pensées sourdes existaient, comme disait Saint-Savin, avec le mouvement des mains Byrd faisait réagir le chien selon ses propres désirs inavoués. Lui-même n’avait-il pas dit de Colomb qu’il s’était trompé en voulant démontrer qu’il était arrivé plus loin ? Le destin du monde était donc lié au mode dont ces fous interprétaient le langage d’un chien ? Un gargouillement du ventre de ce malheureux pouvait faire décréter à ces misérables qu’ils s’approchaient ou s’éloignaient du lieu convoité par des Espagnols, des Français, des Hollandais et des Portugais tout aussi misérables ? Et lui il était impliqué dans cette aventure pour fournir un jour à Mazarin ou au jouvenceau Colbert la façon de peupler les vaisseaux de France de chiens tourmentés ?
Les autres s’étaient désormais éloignés. Roberto était sorti de sa cachette et s’était arrêté un instant, à la lumière de sa corde goudronnée, devant le chien dormant. Il lui avait effleuré la tête. Il voyait dans ce pauvre animal toute la souffrance du monde, furieux récit d’un idiot. Sa lente éducation, depuis les jours de Casal jusqu’à ce moment, l’avait amené à pareille vérité. Oh s’il était resté naufragé sur l’île déserte, comme voulait le chevalier, si comme le chevalier le voulait il avait mis le feu à l’Amaryllis , s’il avait interrompu son chemin sur la troisième île, au milieu des natives couleurs terre de Sienne, ou sur la quatrième était devenu le barde de ces gens. S’il avait trouvé l’Escondida où se cacher de tous les sicaires d’un monde sans pitié !
Il ne savait pas alors que le sort lui réserverait d’ici peu une cinquième île, peut-être la Dernière.
L’Amaryllis paraissait hors de soi, et, en s’agrippant de tous côtés, il était rentré dans sa chambre, oubliant les maux du monde pour souffrir du mal de mer. Puis le naufrage, dont on a parlé. Il avait accompli sa mission avec succès : unique survivant, il emportait avec lui le secret du docteur Byrd. Mais il ne pouvait le révéler à personne. Et puis, c’était sans doute un secret de rien.
N’aurait-il pas dû reconnaître que, sorti d’un monde insane, il avait trouvé la vraie santé ? Le naufrage lui avait accordé le don suprême, l’exil, et une Dame que personne désormais ne pouvait lui enlever…
Mais l’Île ne lui appartenait pas et demeurait lointaine. La Daphne ne lui appartenait pas, un autre en réclamait la possession. Peut-être pour y poursuivre des recherches non moins brutales que celle du docteur Byrd.
20.
La Pointe ou l’Art du Génie
Roberto tendait encore à laisser filer le temps et jouer l’intrus pour en découvrir le jeu. Il replaçait les horloges sur le tillac, les remontait chaque jour, puis il courait ravitailler les bêtes pour empêcher l’autre de le faire, après quoi il mettait en ordre chaque chambre et chaque chose sur le tillac de façon que, si l’autre bougeait, on en remarquât le passage. Il restait enfermé le jour, mais avec la porte entrouverte, de manière à saisir tout bruit venant du dehors ou d’en bas, il montait la garde de nuit, buvait de l’eau-de-vie, descendait encore dans les entrailles de la Daphne .
Une fois il découvrit deux autres réduits au-delà de la fosse-à-lions, vers la proue : l’un était vide, l’autre plutôt trop plein, tapissé d’étagères
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