L'Ile du jour d'avant
c’était là un vaisseau normal, d’autres cachettes. À moins que l’intrus ne fut collé à la quille, sous l’eau, telle une sangsue, et ne limaçonnât nuitamment à bord : mais de toutes les explications - et il était disposé à en tenter beaucoup – celle-ci lui semblait la moins scientifique.
À la poupe, plus ou moins sous l’orgue, il y avait le réduit avec le bassin, le télescope et les autres instruments. En l’examinant, réfléchissait-il, il n’avait pas contrôlé si l’espace finissait juste derrière le timon ; mais d’après le dessin qu’il élaborait, il lui semblait que la feuille ne lui permettait pas d’imaginer un autre vide – s’il avait bien dessiné la courbe de la poupe. Dessous, il ne restait que le boyau-impasse, et qu’à part cela il n’y eût rien d’autre, il en était certain.
Donc, en divisant le vaisseau en compartiments, il l’avait tout rempli et il ne lui laissait d’espace pour aucun nouveau réduit. Conclusion : l’intrus n’avait pas un lieu fixe. Il se déplaçait selon que lui se déplaçait, il était comme l’autre face de la lune, nous savons qu’elle doit exister mais nous ne la voyons jamais.
Qui pouvait apercevoir l’autre face de la lune ? Un habitant des étoiles fixes : il aurait pu attendre sans bouger, et il en aurait surpris le visage caché. Tant que lui se déplacerait avec l’intrus ou laisserait l’intrus choisir ses déplacements par rapport à lui, il ne le verrait jamais.
Il fallait qu’il devienne étoile fixe et contraigne l’intrus à bouger. Et puisque l’intrus se trouvait d’évidence sur le tillac quand lui se trouvait sous le tillac, et vice versa, il devait lui faire croire qu’il était sous le tillac pour le surprendre dessus.
Pour leurrer l’intrus, il avait laissé une lumière éclairée dans la chambre du capitaine, si bien que Celui-là le penserait occupé à écrire. Puis il était allé se cacher au sommet du gaillard d’avant, juste derrière la cloche, de façon qu’en se tournant il pouvait contrôler l’aire sous le beaupré ; devant lui, il dominait la solle et l’autre gaillard jusqu’au fanal de poupe. Il avait placé à ses côtés le mousquet – et, je le crains, le tonnelet d’eau-de-vie aussi.
Il avait passé la nuit en réagissant à tout bruit, comme s’il devait encore épier le docteur Byrd, se pinçant les oreilles pour ne pas céder au sommeil, jusqu’à l’aube. En vain.
Alors il était revenu dans la chambre où, entre-temps, la lumière s’était éteinte. Et il avait trouvé ses papiers en désordre.
L’Intrus avait passé la nuit ici, sans doute à lire ses lettres à la Dame, tandis que lui était en train de souffrir du froid de la nuit et de la rosée au matin !
L’Adversaire était entré dans ses souvenirs… Il se rappela les avertissements de Salazar ; en manifestant ses passions, il avait ouvert une brèche dans son esprit.
Il s’était précipité sur le tillac et mis à tirer une grosse balle à l’aveuglette, excoriant un mât, et puis il avait tiré encore, pour s’apercevoir enfin qu’il ne tuait personne. Avec le temps qu’il fallait alors pour recharger un mousquet, l’ennemi pouvait se promener entre un tir et l’autre, se riant de cette pétaudière qui n’avait fait impression que sur les animaux réagissant en bas par un beau charivari.
Il riait, donc. Et où riait-il ? Roberto était revenu à son dessin et s’était dit que vraiment il ne connaissait rien à la construction des vaisseaux. Le dessin montrait seulement le haut, le bas et le long, pas le large. Vu dans sa longueur (nous dirions nous, dans sa section) le vaisseau ne révélait pas d’autres cachettes possibles mais, en le considérant dans sa largeur, d’autres espaces auraient pu s’insérer au milieu des réduits déjà découverts.
Roberto n’y réfléchissait qu’à présent, mais sur ce navire trop de choses encore manquaient. Par exemple, il n’avait pas trouvé d’autres armes. Passe encore : les matelots, s’ils avaient abandonné le vaisseau de leur propre volonté, les avaient emportées avec eux. Mais sur l’Amaryllis s’entassait dans le fond de cale beaucoup de bois de construction, pour réparer mâts, timon ou bordages, en cas de dommages dus aux intempéries, alors qu’ici il avait trouvé suffisamment de bois menu, séché depuis peu pour alimenter la cheminée de la cuisine, mais rien qui fut du chêne, du mélèze ou du
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