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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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avec le Déluge, ne prenait racine que dans les landes du Saint Empereur Romain.
    Ruisselant de sueur, le religieux avait terminé son évocation. Comme épouvanté par les conséquences de tout déluge, le ciel avait rappelé l’orage, ainsi qu’un éternuement qui semble sur le point d’exploser et puis est ravalé avec un grognement.

22.
    La Colombe Couleur Orange
    Les jours suivants il fut clair que l’Observatoire Maltais s’avérait impossible à atteindre, car le père Wanderdrossel ne savait pas nager lui non plus. La barque était encore là-bas, dans la petite crique, et c’était donc comme si elle n’existait pas.
    Maintenant qu’il avait à sa disposition un homme jeune et vigoureux, le père Caspar aurait su comment faire construire un radeau avec une grande rame mais, il l’avait expliqué, matériaux et instruments étaient restés dans l’Île. Sans même une hache on ne pouvait abattre les mâts ou les vergues, sans marteaux on ne pouvait dégonder les portes, et les clouer entre elles.
    Par ailleurs, le père Caspar ne paraissait pas trop préoccupé par ce naufrage prolongé, il se réjouissait même du seul fait d’avoir récupéré l’usage de sa chambre, du tillac et de quelques instruments pour continuer observations et études.
    Roberto n’avait pas encore compris qui était le père Caspar Wanderdrossel. Un sage ? Certainement oui, ou du moins un érudit et un curieux aussi bien de sciences naturelles que divines. Un exalté ? Sûrement. À un moment donné, il avait laissé entendre que ce vaisseau avait été armé non pas aux frais de la Compagnie, mais aux siens propres, ou d’un de ses frères, marchand enrichi et aussi fou que lui ; en une autre occasion, il s’était laissé aller à quelques plaintes contre certains religieux de son ordre qui lui auraient « larronné tant de très-fécondes Idées » après avoir feint d’en répudier le galimatias. Ce qui laissait penser que là-bas, à Rome, ces révérends pères n’avaient pas vu d’un mauvais œil le départ de ce personnage sophistiqué, considéré qu’il s’embarquait à ses frais, qu’il y avait en outre de bons espoirs que le long de ces routes inatteignables il se perdrait, et ils l’avaient encouragé pour s’en débarrasser.
    Les fréquentations que Roberto avait eues en Provence et à Paris étaient propres à le rendre hésitant devant les affirmations de physique et de philosophie naturelle qu’il entendait énoncer par le vieux. Mais nous l’avons vu, Roberto avait absorbé le savoir auquel il était exposé comme une éponge, sans trop se soucier de ne pas croire à des vérités contradictoires. Ce n’était sans doute pas qu’il lui manquât le goût du système, c’était un choix.
    À Paris le monde lui était apparu telle une scène où l’on représentait un trompeur apparoir, où chaque spectateur voulait chaque soir suivre et admirer une histoire différente, comme si les choses habituelles, fussent-elles miraculeuses, n’éclairaient plus personne, et que seules les insolitement incertaines ou les incertainement insolites étaient capables de les exciter encore. Les anciens prétendaient que pour une question il n’existait qu’une réponse, tandis que le grand théâtre parisien lui avait offert le spectacle d’une question à laquelle on répondait de manières les plus variées. Roberto avait décidé d’accorder seulement la moitié de son esprit aux choses en quoi il croyait (ou croyait croire), pour garder l’autre disponible au cas où fût vrai le contraire.
    Si c’était bien la disposition de son âme, nous pouvons alors comprendre pourquoi il n’était pas si motivé que cela à nier, d’entre les révélations du père Caspar, même les plus ou moins dignes de foi. De tous les récits qu’il avait entendus, celui que le jésuite lui avait fait était certainement le plus hors du commun. Pourquoi le prendre pour faux alors ?
    Je défie quiconque de se trouver abandonné sur un navire désert, entre ciel et mer dans un espace perdu, et de ne pas être disposé à rêver que, en ce grand malheur, il ne lui soit au moins échu de tomber au centre du temps.
    Il pouvait donc même s’amuser à opposer à ces récits de multiples objections, mais souvent il se comportait comme les disciples de Socrate, qui imploraient presque leur défaite.
    D’autre part, comment refuser le savoir d’une figure devenue paternelle, qui d’un coup l’avait reporté

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