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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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pleuvait plus il y avait le soleil, et donc l’eau peu à peu s’évaporait. La Bible dit que cent cinquante jours il fallut. Si toi ton vêtement en un jour laves et sèches, tu sèches la terre en cent cinquante. Et puis il est beaucoup d’eau dans ces énormes lac subterrains refluée, qui à présent encore entre la surface et le feu zentral sont.
    — Vous m’avez presque convaincu, dit Roberto à qui n’importait pas tant la manière dont cette eau s’était déplacée, que le fait de se trouver à deux pas d’hier.
    — Mais en arrivant ici qu’avez-vous démontré que vous n’auriez pu démontrer avant, à la lumière de la raison ?
    — La lumière de la raison, tu la laisses à la vieille théologie. Aujourd’hui la scientia veut la preuve de l’expérientia. Et la preuve de l’expérientia c’est que moi ici je suis. Ensuite, avant que j’arrivais ici, j’ai fait beaucoup de sondements, et je sais combien profonde la mer là en bas est.

    Le père Caspar avait abandonné son explication géoastronomique et il s’était prodigué dans la description du Déluge. Il parlait maintenant son latin érudit, en lançant les bras comme pour évoquer les différents phénomènes célestes et chtoniens, à grands pas sur le pont. Il l’avait fait juste au moment où le ciel sur la baie s’ennuageait : s’annonçait un orage tel qu’il n’en arrive, soudain, que dans la mer du Tropique. Or donc, toutes les fontaines de l’abysse ouvertes et les cataractes du ciel, quel horrendum et formidandum spectaculum s’était offert à Noé et à sa famille !
    Les hommes se réfugiaient d’abord sur les toits, mais leurs maisons se voyaient balayées par les flots qui arrivaient des Antipodes avec la force du vent divin qui les avait soulevés et poussés ; ils se hissaient sur les arbres, que la lame arrachait tels des fétus ; ils distinguaient encore des cimes de très vieux chênes et ils s’y accrochaient, mais les vents les secouaient avec une rage telle qu’ils n’arrivaient pas à tenir prise. Désormais dans la mer qui couvrait vals et monts l’œil suivait les cadavres enflés et flottants, où les derniers oiseaux terrorisés tentaient de se percher comme sur un très-atroce nid ; mais, perdant bien vite ce dernier refuge, ils cédaient eux aussi harassés au milieu de la tempête, les plumes alourdies, les ailes maintenant épuisées. « Oh, horrenda justitiae divinae spectacula », exultait le père Caspar, et ce n’était rien – assurait-il – par rapport à ce qu’il nous sera donné de voir le jour où le Christ reviendra juger les vivants et les morts…
    Et au grand fracas de la nature répondaient les animaux de l’Arche, aux hurlements du vent faisaient écho les loups, au rugissement des tonnerres on entendait en contrepoint le lion, au frémissement de la foudre barrissaient les éléphants, aboyaient les chiens à la voix de leurs congénères moribonds, pleuraient les brebis aux plaintes des enfants, croassaient les corneilles au croasser de la pluie sur le toit de l’Arche, mugissaient les bœufs au mugissement des flots, et toutes les créatures de la terre et de l’air avec leur calamiteux piaulement ou miaulement plaintif prenaient part au deuil de la planète.
    Mais ce fut en cette occasion, assurait le père Caspar, que Noé et sa famille redécouvrirent la langue qu’Adam avait parlée dans l’Eden, et que ses enfants avaient oubliée après l’expulsion, et que les descendants mêmes de Noé perdraient presque tous au jour de la grande confusion babélique, sauf les héritiers de Gomer qui l’avaient emportée dans les forêts du Nord, où le peuple allemand l’avait fidèlement protégée. Seule la langue allemande - s’écriait à présent dans sa langue maternelle le père Caspar enflammé – « redet mit der Zunge, donnert mit dem Himmel, blitzet mit den schnellen Wolken », autrement dit, comme ensuite inventivement il poursuivait, mêlant les très-âpres sons de divers idiomes, seule la langue allemande parle la langue de la nature, « blitze avec les Nuages, brumme avec le Cerf, gruntze avec le Schwaine, zissque avec l’Anguicole, miaute avec le Katze, schnattère avec l’Ansercule, quaquère avec le Canardus, kakka-kokke avec la Poule, klappère avec la Cigonie, krakke avec le Korbaque, schwirre avec l’Hirundine ! » Et à la fin il était rauque de tant babéliser, et Roberto convaincu que la vraie langue d’Adam, retrouvée

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