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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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d’une condition de naufragé ahuri à celle de passager d’un navire dont quelqu’un avait connaissance et gouverne ? Soit de par l’autorité de l’habit, soit de par la condition de seigneur originel de ce château marin, le père Caspar représentait à ses yeux le Pouvoir, et Roberto avait appris suffisamment des idées du siècle pour savoir qu’à la force on doit acquiescer, du moins en apparence.
    Et si Roberto commençait à douter de son hôte, celui-ci aussitôt le conduisait pour une nouvelle exploration du vaisseau et, en lui montrant des instruments qui avaient échappé à son attention, il lui permettait d’apprendre de si nombreuses et non-pareilles choses qu’il gagnait sa confiance.
    Par exemple, il lui avait fait découvrir des filets et des hameçons pour la pêche. La Daphne avait relâché dans des eaux très peuplées, et il valait mieux ne pas consommer les provisions du bord s’il était possible d’avoir du poisson frais. Roberto, en se déplaçant de jour maintenant avec ses lunettes fumées, avait aussitôt appris à jeter les filets, à lancer l’hameçon, et sans grand-peine il avait capturé des animaux de mesures tellement démesurées que plus d’une fois il avait risqué d’être entraîné par-dessus bord par la force brusque avec laquelle ils mordaient.
    Il les allongeait sur le tillac et le père Caspar semblait connaître de chacun la nature et jusqu’au nom. Si, en fin de compte, il les nommait d’après nature ou les baptisait ad libitum , Roberto ne savait le dire.
    Alors que les poissons de son hémisphère étaient gris, au mieux vif-argent, ceux-ci apparaissaient bleus avec des nageoires marasquin, ils avaient des barbillons safran ou des museaux cardinal. Il avait péché une grosse anguille avec deux têtes pleines d’yeux, une à chaque bout du corps, mais le père Caspar lui avait fait remarquer que la seconde tête était en revanche une queue ainsi décorée par la nature, et en l’agitant la bête effrayait ses adversaires même par-derrière. On captura un poisson au ventre tacheté, avec des rayures d’encre sur le dos, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel autour de l’œil, un museau caprin, mais le père Caspar le fit aussitôt rejeter à la mer, car il savait (récits de ses frères, expérience de voyage, légende de matelots ?) qu’il était plus venimeux qu’un bolet Satan.
    D’un autre à l’œil jaune, bouche enflée et dents tels des clous, le père Caspar avait tout de suite dit que c’était une créature de Belzébuth. Qu’on le laissât étouffer sur la solle jusqu’à ce que mort s’ensuive, et puis allez hop d’où il était venu. Il le disait par science acquise ou jugeait-il à l’apparence ? Par ailleurs, tous les poissons que Caspar donnait pour comestibles révélaient leur excellence, mieux : de l’un d’eux il avait même su dire qu’il était meilleur poché que rôti.
    En initiant Roberto aux mystères de cette mer salomonienne, le jésuite avait été plus précis encore dans ses informations sur l’Île, dont la Daphne à son arrivée, avait fait le tour complet. Vers l’est, elle avait quelques petites plages, mais trop exposées aux vents. Sitôt après le promontoire sud, où ils avaient ensuite tiré la barque sur le rivage, se trouvait une baie calme, sauf que l’eau y était trop basse pour que la Daphne y mouillât. Ce point, où se situait maintenant le vaisseau, était le plus approprié : en s’approchant de l’Île on se serait engravé sur un fond bas, et en s’éloignant davantage on se serait placé dans le vif d’un courant très fort qui parcourait le canal entre les deux îles du sud-ouest au nord-est ; et il fut facile de le démontrer à Roberto. Le père Caspar lui demanda de lancer le sale corps mort du poisson de Belzébuth, de toutes ses forces, vers la mer à l’Occident, et le cadavre du monstre, pour autant qu’on pût le voir flotter, fut entraîné avec véhémence par ce flux invisible.
    Aussi bien Caspar que les matelots, ils avaient exploré l’Île, sinon tout entière, une bonne partie : assez pour pouvoir décider que le sommet, qu’ils avaient choisi afin d’y installer l’Observatoire, était le plus idoine pour dominer de l’œil l’ensemble de cette terre, vaste comme la ville de Rome.
    Il y avait à l’intérieur une cascade, et une très belle végétation : non seulement des noix de coco et des bananes, mais aussi certains arbres au tronc

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