Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
Vom Netzwerk:
qui ne cache pas, mais au contraire révèle) – aurait pu être porté même par qui eût su nager entre les écueils. Non que l’eau ne pénétrât point tôt ou tard à l’intérieur, mais pendant un certain laps de temps, en retenant sa respiration, on pouvait continuer à regarder. Après quoi, on devrait émerger de nouveau, vider ce vase et recommencer du début.
    « Si tu à natare apprendrais, tu pourrais ces choses là-bas voir », disait Caspar à Roberto. Et Roberto, le contrefaisant : « Si je nagerais ma poitrine était une gourde ! » Cependant il se plaignait de ne pouvoir aller là-bas.
    Et puis, et puis, ajoutait le père Caspar, sur l’Île il y avait la Colombe de Flamme.
    « La Colombe de Flamme ? Qu’est-ce donc ? » s’enquit Roberto, et l’anxiété avec laquelle il le demanda nous paraît exorbitante. Comme si l’Île depuis longtemps lui promettait un emblème obscur, qui à présent seulement devenait d’une grande clarté.
    Le père Caspar expliquait qu’il était difficile de décrire la beauté de cet oiseau, et qu’il fallait le voir pour pouvoir en parler. Lui il l’avait aperçu avec la lunette d’approche le jour même de leur arrivée. Et, de loin, c’était comme entrevoir une sphère d’or enflammé, ou de feu doré, qui de la cime des arbres les plus hauts dardait vers le ciel. À peine à terre, il avait voulu en savoir davantage, et il avait instruit les matelots afin qu’ils le repérassent.
    L’affût avait été fort long, jusqu’à ce que l’on eût compris au milieu de quels arbres il habitait. Il émettait un son tout à fait particulier, une sorte de « toc toc », comme ce que vous obtenez en clappant de la langue. Caspar avait compris qu’en produisant cet appel avec la bouche ou les doigts l’animal répondait, et, quelques fois, il s’était laissé apercevoir alors qu’il volait de branche en branche.
    Caspar était revenu à plusieurs reprises se mettre à l’affût, mais avec une lunette d’approche, et une fois au moins il avait bien vu l’oiseau, presque immobile : la tête était olive foncé – non, peut-être asperge, comme les pattes – et le bec couleur d’herbe médicinale s’étendait tel un masque, jusqu’à enchâsser l’œil qui ressemblait à un grain de maïs, avec la pupille d’un noir scintillant. Il avait une courte mentonnière dorée comme la pointe des ailes, mais le corps, de la gorge jusqu’aux pennes de la queue, où les très fines plumes semblaient les cheveux d’une femme, était (comment dire ?) – non, rouge n’est pas le mot juste…
    Rouille, rougeâtre, rubis, rubicond, rougeaud, roussâtre, rocou, rubéfié, suggérait Roberto. Nein, nein, s’irritait le père Caspar. Et Roberto : comme une fraise, un géranium, une framboise, une griotte, un radis ; comme les baies du houx, le ventre de la grive mauvis, la queue du rouge-queue, la gorge du rouge-gorge… Mais non, non, insistait le père Caspar, en lutte avec sa langue et celle d’autrui pour trouver les mots justes : et – à en juger par la synthèse qu’en tire ensuite Roberto, on ne comprend plus si l’emphase appartient à l’informateur ou à l’informé – il devait avoir la couleur de liesse d’un bigaradier, d’une pomme d’orange, c’était un soleil ailé, bref, quand on le voyait dans le ciel blanc c’était comme si l’aube lançait un grenadier sur la neige. Et quand il se faisait jet de fronde dans le soleil, il fulgurait plus qu’un chérubin !
    Cet oiseau couleur orange, disait le père Caspar, certainement ne pouvait vivre que sur l’Île de Salomon, parce que c’était dans le Cantique de ce grand Roi que l’on parlait d’une colombe qui se lève comme l’aurore, resplendissante comme le soleil, terribilis ut castrorum acies ordinata . Elle avait, dit un autre psaume, les ailes qui se couvrent d’argent et les plumes aux reflets d’or.

    Avec cet animal Caspar en avait vu un autre presque pareil, sauf que les plumes n’étaient pas orangées mais bleu-vert, et à la façon dont les deux allaient régulièrement en couple sur la même branche, ils devaient être mâle et femelle. Qu’ils pussent être des ramiers, leur forme le révélait et leur gémissement si fréquent. Lequel des deux était le mâle, c’était difficile à dire ; d’autre part, il avait imposé aux matelots de ne pas les tuer.

    Roberto demanda combien de colombes il pouvait y avoir sur l’Île. Pour ce qu’en

Weitere Kostenlose Bücher