L'Ile du jour d'avant
reprendre avant que ne l’occupent les Impériaux. Il s’agit de les tenir sous le feu dans la plaine, de manière à les gêner et retarder la construction des galeries. Bref, il y aura de la gloire pour tous. Pour l’heure, allons souper. Le siège en est à ses débuts et les provisions ne font pas encore défaut. Ce n’est que plus tard que nous mangerons les rats. »
3.
La Ménagerie des Stupeurs
Réchapper du siège de Casal où, au moins, en fin de compte, il n’avait pas dû manger de rats, pour aborder à la Daphne où les rats le mangeraient peut-être… Méditant plein de crainte sur ce beau contraste, Roberto s’était enfin disposé à explorer les lieux d’où la veille au soir il avait entendu venir ces bruits incertains.
Il avait décidé de descendre du gaillard d’arrière et, si tout avait été comme sur l’Amaryllis , il savait qu’il devrait trouver une douzaine de canons aux deux flancs, et les paillasses ou les hamacs des matelots. Il avait pénétré par la chambre du gouvernail dans la tamisaille située au-dessous, traversée par la barre qui oscillait en un lent grincement, et il pourrait sortir aussitôt par la porte qui donnait sur le second-pont. Mais, comme pour se familiariser avec ces endroits profonds avant d’affronter son ennemi inconnu, par une trappe il s’était glissé plus bas encore, où d’habitude on aurait dû trouver d’autres provisions. En revanche, il y avait trouvé, disposées avec une grande économie d’espace, des couchettes pour une douzaine d’hommes. La plus grande partie de l’équipage dormait donc là en bas, comme si le reste avait été réservé à d’autres fonctions. Les couchettes étaient dans un ordre parfait. Par conséquent, s’il y avait eu épidémie, dès lors que quelqu’un mourait, les survivants les avaient arrangées selon les règles de l’art, pour signifier aux autres que rien ne s’était passé… Mais enfin, qui avait dit que les matelots étaient morts, et tous ? Et une fois de plus cette pensée ne l’avait pas tranquillisé : la peste, qui extermine la totalité de l’équipage, est un fait naturel, parfois providentiel selon certains théologiens ; mais un événement qui faisait s’enfuir ce même équipage, et en abandonnant le navire dans cet ordre innaturel, pouvait être bien plus préoccupant.
Peut-être l’explication se trouvait-elle dans le second-pont, il fallait prendre courage. Roberto était remonté et avait ouvert la porte qui donnait sur le lieu de ses craintes.
Il comprit alors la fonction de ces larges treillis qui trouaient le tillac. Avec un pareil expédient le second-pont avait été transformé en une sorte de nef éclairée à travers les grilles par la lumière du jour désormais plein qui obliquement tombait, se croisant avec celle qui provenait des sabords, se colorant du reflet, maintenant ambré, des canons.
Au début Roberto n’aperçut rien d’autre que des lames de soleil où l’on voyait s’agiter d’infinis corpuscules, et comme il les vit il ne put que se rappeler (et combien se répand-il à jouer de doctes mémoires pour émerveiller sa Dame, au lieu de se limiter à dire) les mots par lesquels le Prévôt de Digne l’invitait à observer les cascades de lumière qui s’épandaient dans l’obscurité d’une cathédrale, s’animant en son intérieur d’une multitude de monades, semences, natures indissolubles, gouttes d’encens mâle qui éclataient spontanément, atomes primordiaux engagés dans des combats, des batailles, des escarmouches en escadrons, au milieu de rencontres et de séparations innombrables, preuve de la composition même de notre univers, non composé d’autre chose que de corps premiers grouillants dans le vide.
Sitôt après, comme pour lui confirmer que la création n’est que l’œuvre de cette danse d’atomes, il eut l’impression de se trouver dans un jardin et il se rendit compte que, depuis son arrivée là en bas, il avait été assailli par une foule de parfums bien plus forts que ceux qui lui étaient parvenus d’abord du rivage.
Un jardin, un verger couvert ; voilà ce que les hommes disparus de la Daphne avaient créé dans cet espace, pour emmener dans leur patrie fleurs et plantes des îles qu’ils s’employaient à explorer, en permettant que le soleil, les vents et les pluies leur consentissent de survivre. Le vaisseau aurait-il su alors conserver, durant des mois de voyage, ce butin sylvestre, la
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