L'Ile du jour d'avant
donc, faites seulement ce que vous savez faire : gardez les oreilles ouvertes et découvrez des secrets dont vous ne saviez rien. Ensuite vous viendrez m’en référer à moi, et après vous tâcherez de les oublier.
— C’est ce que j’ai toujours fait, Éminence. Ou, du moins, je crois, car j’ai oublié de l’avoir fait.
— Ainsi vous me plaisez. Allez-y.
Quelque temps plus tard, Ferrante avait entendu Roberto, en cette mémorable soirée, disserter précisément de la poudre. Cela ne lui avait pas semblé vrai : pouvoir signaler à Richelieu qu’un gentilhomme italien, qui fréquentait cet Anglais d’Igby (notoirement lié, quelque temps avant, au duc de Bouquinquant), paraissait en savoir beaucoup sur cette poudre.
Au moment où il commençait à jeter le discrédit sur Roberto, Ferrante devait toutefois obtenir de prendre sa place. Par conséquent il avait révélé au Cardinal que lui, Ferrante, se faisait passer pour monsieur Del Pozzo puisque son travail d’informateur lui imposait de garder l’incognito, mais qu’en vérité c’était lui le vrai Roberto de la Grive, jadis valeureux combattant aux côtés des Français, à l’époque du siège de Casal. L’autre, qui si insidieusement parlait de cette poudre, était un aventurier, un aigrefin qui profitait d’une vague ressemblance, et qui déjà sous le nom de Mahmut Arabe avait servi comme sycophante à Londres aux ordres des Turcs.
Ce disant, Ferrante se préparait au moment où, son frère ruiné, il pourrait le remplacer en passant pour l’unique et véritable Roberto, non seulement aux yeux des parents restés à la Grive, mais au regard de Paris tout entier, comme si l’autre n’avait jamais existé.
Pendant ce temps, alors qu’il se parait du visage de Roberto pour conquérir Lilia, Ferrante avait appris, comme tout le monde, la disgrâce de Cinq-Mars et, risquant certes énormément, mais prêt à donner sa vie pour accomplir sa vengeance, toujours sous les dehors de Roberto il s’était montré avec ostentation en compagnie des amis de ce conspirateur.
Ensuite il avait soufflé au Cardinal que le faux Roberto de la Grive, qui en savait tant sur un secret cher aux Anglais, d’évidence conspirait, et il lui avait même produit des témoins, lesquels pouvaient affirmer avoir vu Roberto avec celui-ci ou celui-là.
Comme on le voit, un échafaudage de mensonges et déguisements qui expliquait le traquenard où Roberto avait été attiré. Mais Roberto y était tombé pour des raisons et de manière inconnues à Ferrante même, dont les plans avaient été bouleversés par la mort de Richelieu.
En fait, qu’était-il arrivé ? Richelieu, soupçonneux au possible, se servait de Ferrante sans en parler à personne, pas même à Mazarin dont évidemment il se méfiait en le voyant désormais penché tel un vautour sur son corps malade. Toutefois, tandis que sa maladie progressait, Richelieu avait passé à Mazarin quelques informations, sans lui en révéler la source :
— À propos, mon bon Giulio !
— Oui, mon Éminence et Père très-aimé…
— Faites tenir à l’œil un certain Roberto de la Grive. Il va le soir chez madame de Rambouillet. Il paraît qu’il en saurait long sur votre Poudre de Sympathie… Et, entre autres, selon un de mes informateurs, le jeune homme fréquente aussi un milieu de conspirateurs…
— Épargnez-vous, Éminence. Je penserai personnellement à tout.
Et voici Mazarin commencer pour son propre compte une enquête sur Roberto, jusqu’à en savoir le peu qu’il avait montré savoir le soir de son arrestation. Mais tout cela sans rien savoir de Ferrante.
Cependant Richelieu se mourait. Que devait-il être arrivé à Ferrante ?
Richelieu mort, il lui manque tout appui. Il devrait établir des contacts avec Mazarin, puisque l’indigne est un triste héliotrope qui se tourne toujours dans la direction du plus puissant. Mais il ne peut se rendre chez le nouveau ministre sans lui fournir une preuve de ce qu’il vaut. De Roberto, il ne trouve plus trace. Serait-il malade, parti pour un voyage ? Ferrante pense à tout, sauf au fait que ses calomnies aient eu de l’effet, et que Roberto ait été arrêté.
Ferrante n’osait se montrer en public sous les dehors de Roberto, pour ne pas éveiller les soupçons de qui le saurait loin. Quoi qu’il pût s’être passé entre lui et Lilia, il suspend même tout contact avec Elle, impassible comme qui sait que chaque
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