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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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de mourir.
    Avec un cri de jubilation il était arrivé au beaupré, s’était accroché à la proue, avait atteint l’échelle de Jacob, et que lui et tous les saints patriarches des Saintes Écritures fussent bénis par le Seigneur, Dieu des Armées.
    Il n’avait plus de force. Il était resté suspendu à l’échelle une demi-heure peut-être. Mais en définitive il était parvenu à remonter sur le pont, où il avait tâché de faire un bilan de son expérience.
    Primo, il pouvait nager au point d’aller d’un bout à l’autre du vaisseau et vice versa ; secundo, une entreprise de ce genre l’amenait à la limite extrême de ses capacités physiques ; tertio, puisque la distance entre le navire et le rivage était moult et moult fois supérieure au périmètre entier de la Daphne , même pendant la marée basse, il ne pouvait espérer nager jusqu’à mettre la main sur quelque chose de solide ; quarto, la marée basse lui rapprochait bien la terre ferme, mais avec son reflux elle lui rendait plus difficile sa progression ; quinto, si par hasard il arrivait à la moitié du parcours et ne parvenait plus à aller de l’avant, il ne serait pas non plus parvenu à revenir en arrière.
    Il lui fallait donc continuer avec le funain, et cette fois bien plus long. Il irait vers l’Orient tant que ses forces le lui permettraient, et puis il reviendrait en se faisant remorquer. Ce n’était qu’en s’exerçant de cette manière, pendant des jours et des jours, qu’il pourrait ensuite tenter tout seul.
    Il choisit un après-midi tranquille, quand le soleil était désormais dans son dos. Il s’était pourvu d’une corde très longue, qui se trouvait bien assurée par un bout au grand mât, et s’enroulait sur le pont en de nombreuses volutes, prête à se dérouler petit à petit. Il nageait, tranquille, sans se fatiguer trop, se reposant souvent. Il regardait la plage et les deux promontoires. À présent seulement, d’en bas, il se rendait compte à quel point était lointaine cette ligne idéale qui s’étendait entre un cap et l’autre du sud au nord, passé laquelle il entrerait dans le jour d’avant.
    Comme il avait mal compris le père Caspar, il s’était convaincu que la barbacane des coraux commençait seulement où de petites ondes blanches révélaient les premiers récifs. En revanche, même à marée basse, les coraux commençaient avant. Sinon la Daphne se serait ancrée plus près de la terre.
    Ainsi était-il allé heurter de ses jambes nues contre quelque chose qui se laissait apercevoir entre deux eaux, mais encore fallait-il être déjà dessus. Presque dans le même temps, il fut frappé par un mouvement de formes colorées sous la surface, et par une brûlure insupportable à la cuisse et au tibia. C’était comme s’il avait été mordu ou griffé par des serres. Pour s’éloigner de ce banc, il s’était aidé d’un coup de jarret et blessé, ce faisant, à un pied aussi.
    Il avait empoigné la corde en tirant avec une telle fougue que, revenu à bord, il avait les mains écorchées ; mais il était plus soucieux de son mal à la jambe et au pied. C’étaient des agglomérations de pustules très douloureuses. Il les avait lavées avec de l’eau douce, ce qui avait calmé en partie la brûlure. Mais vers le soir, et durant toute la nuit, la brûlure s’était accompagnée d’un prurit aigu, et dans le sommeil il s’était probablement gratté, si bien que le lendemain matin les pustules rendaient du sang et une matière blanche.
    Il avait alors eu recours aux préparations du père Caspar (Spiritus, Olea, Flores) qui avaient un peu jugulé l’infection, mais pendant un jour entier il avait encore instinctivement incisé ces bubons de ses ongles.
    Une fois de plus il avait fait le bilan de son expérience, et tiré quatre conclusions : la barbacane était plus proche que le reflux ne laissait croire, ce qui pouvait l’encourager à retenter l’aventure ; certaines des créatures qui y vivaient, crabes, poissons, les coraux peut-être, ou des pierres pointues, avaient le pouvoir de lui occasionner une sorte de pestilence ; s’il voulait revenir sur ces rocailles, il devait y aller chaussé et habillé, ce qui entraverait davantage ses mouvements ; comme dans tous les cas il ne pourrait pas protéger tout son corps, il devait être en mesure de voir sous l’eau.
    La dernière conclusion lui remit en mémoire cette Persona Vitrea, ou masque pour regarder

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