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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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déconseiller. Ils mettaient en garde contre les vêtures trop confortables comme la zibeline et le velours, de même contre le musc, l’ambre, la noix muscade et la Poudre de Chypre, mais que pouvait-il savoir, lui, du pouvoir inconnu des cent parfums qui se dégageaient de la serre, et de ceux que les vents lui apportaient de l’Île ?
    Il aurait pu contrecarrer nombre de ces influences néfastes avec le camphre, la bourrache, la petite oseille ; avec des clystères, avec des vomitifs de sel de vitriol dissous dans le bouillon ; et enfin avec les saignées à la veine médiane du bras ou à celle du front ; et puis, en ne mangeant que chicorée, endive, laitue, et melons, raisins, cerises, prunes et poires, et surtout de la menthe fraîche… Mais rien de tout cela n’était à sa portée sur la Daphne .
    Il recommença à se mouvoir sur l’onde, cherchant à ne pas avaler trop de sel et se reposant le moins possible.
    Certes, il ne cessait pas de penser à l’histoire qu’il avait évoquée, mais son irritation contre Ferrante se traduisait maintenant en élans de prépotence, et il se mesurait avec la mer comme si, la soumettant à ses vouloirs, il assujettissait son ennemi.
    Quelques jours plus tard, un après-midi, il avait découvert pour la première fois la couleur ambrée de ses poils pectoraux et – comme il le note en de diverses contorsions rhétoriques - pubiens même ; et il avait constaté qu’ils ressortaient de pareille façon parce que son corps s’était bronzé ; mais aussi ragaillardi, s’il voyait sur ses bras frétiller des muscles qu’il n’avait jamais remarqués. Il se prit alors pour un Hercule et perdit le sens de la prudence. Le lendemain, il descendit dans l’eau sans la corde.
    Il abandonnerait l’échelle, évoluant le long de la carcasse à tribord, jusqu’à l’étambot, ensuite il doublerait la poupe et remonterait de l’autre côté, passant sous le mât de beaupré. Et il s’était prodigué de ses bras et de ses jambes.
    La mer n’était pas d’huile et des vaguelettes le jetaient sans trêve contre les flancs, raison pour quoi il devait faire un double effort : et avancer le long du vaisseau et chercher à en rester un peu à l’écart. Son souffle était lourd, mais il continuait, intrépide. Jusqu’à ce qu’il parvînt à mi-chemin, c’est-à-dire à la poupe.
    Là, il s’aperçut qu’il avait désormais dépensé toutes ses forces. Il n’en avait plus pour parcourir la longueur de l’autre côté, ni d’ailleurs pour revenir en arrière. Il tenta de se tenir au gouvernail, qui ne lui offrait cependant qu’une piètre prise, couvert qu’il était de mucilage, tout en se lamentant lentement sous le soufflet alterné des ondes.
    Il voyait la galerie au-dessus de sa tête, devinant derrière le vitrage son logis assuré, sa destination. Il se disait que, si par hasard l’échelle de la proue s’était décrochée, il aurait pu passer des heures et des heures, avant de mourir, désirant ardemment ce pont que tant de fois il avait voulu quitter.
    Le soleil avait été couvert par un flot de nuages, et lui commençait à se sentir transi. Il tendit la tête en arrière, comme pour dormir, peu après il rouvrit les yeux, se tourna sur lui-même, et se rendit compte qu’il advenait ce qu’il avait craint : les ondes l’éloignaient du navire.
    Il se donna du courage et revint près du flanc, le touchant comme pour en recevoir de la force. Au-dessus de sa tête, il apercevait un canon qui dépassait d’un sabord. S’il avait eu sa corde, pensait-il, il aurait pu faire un nœud coulant, essayer de le lancer en haut pour prendre à la gorge cette bouche à feu, se hisser en tendant le funain de ses bras et en appuyant ses pieds contre le bois… Cependant, non seulement il n’y avait pas la corde, mais il n’aurait certainement pas eu le cœur ni les bras pour remonter à une telle hauteur… Cela n’avait aucun sens, mourir ainsi, à côté de son propre gîte.
    Il prit une décision. Désormais, la poupe doublée, qu’il fût revenu sur le côté droit ou qu’il eût poursuivi sur le côté gauche, l’espace qui le séparait de l’échelle était identique. Tirant presque au sort, il résolut de nager sur la gauche, veillant à ce que le courant ne le séparât pas de la Daphne.
    Il avait nagé en serrant les dents, les muscles tendus, n’osant se laisser aller, férocement décidé à survivre, même au prix – se disait-il –

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