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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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l’existence d’autres cieux et qu’il devinait, en même temps, sans avoir à se hausser au-delà des sphères célestes, beaucoup de mondes dans un corail. Etait-il besoin de calculer en combien de figures les atomes de l’univers pouvaient se composer, et brûler sur le bûcher ceux qui disaient que leur nombre n’était pas fini, quand il aurait suffi de méditer pendant des années sur un de ces objets marins pour comprendre comment la déviation d’un seul atome, qu’elle fut voulue par Dieu ou suscitée par le Hasard, pouvait donner vie à d’insoupçonnées Voies Lactées ?
    La Rédemption ? Argument erroné, pis – protestait Roberto, ne voulant pas avoir maille à partir avec les prochains jésuites qu’il rencontrerait – argument de qui ne sait pas penser la toute-puissance du Seigneur. Qui peut exclure que dans le plan de la création le péché originel se soit réalisé en même temps sur tous les univers, de façons diverses et inopinées, et néanmoins instantanées, et que le Christ soit mort sur la croix pour tous, et les Séléniens et les Siriens et les Coralliens qui vivaient sur les molécules de cette pierre transpercée, quand elle était encore vivante ?

    En vérité, Roberto n’était pas convaincu par ses arguments ; il composait un plat fait de trop d’ingrédients, autrement dit, il entassait dans un seul raisonnement des choses entendues de divers côtés, et il n’était pas assez ingénu pour ne pas s’en rendre compte. Aussi, après l’avoir emporté sur un possible adversaire, il lui redonnait la parole et s’identifiait avec ses objections.
    Une fois, à propos du vide, le père Caspar lui avait cloué le bec d’un syllogisme auquel il n’avait pas su répondre : le vide est non-être, mais le non-être n’est pas, ergo le vide n’est pas. L’argument était bon, parce qu’il niait le vide tout en admettant qu’on pouvait le penser. De fait, on peut parfaitement penser des choses qui n’existent pas. Une chimère qui bourdonne dans le vide peut-elle manger des intentions secondes ? Non, parce que la chimère n’existe pas, dans le vide on n’entend aucun bourdonnement, les intentions secondes sont des choses mentales et l’on ne se nourrit pas d’une poire pensée. Cependant je pense à une chimère encore qu’elle soit chimérique, c’est-à-dire qu’elle n’est pas. Et ainsi du vide.
    Roberto se souvenait de la réponse d’un jeune homme de dix-neuf ans qui, un jour à Paris, s’était trouvé invité à une réunion de ses amis philosophes, parce que l’on disait qu’il projetait une machine capable de faire des calculs arithmétiques. Roberto n’avait pas bien compris comment devait fonctionner la machine, et il avait considéré (peut-être par acrimonie) ce garçon trop pâle, trop chagrin et trop pédant pour son âge, alors que ses amis libertins lui enseignaient que l’on peut être savant avec gaieté. Et il avait d’autant moins souffert, la conversation s’étant portée sur le vide, que le jeune homme ait voulu dire son mot, et avec une certaine impudence : « On a trop parlé du vide, jusqu’à présent. Maintenant il faut le démontrer à travers l’expérience. » Il le disait comme si cette tâche lui échoirait un jour, à lui.
    Roberto avait demandé à quelles expériences il songeait, et le jeune lui avait répondu qu’il ne le savait pas encore. Afin de le mortifier, Roberto lui avait proposé toutes les objections philosophiques dont il avait connaissance : si le vide était, il ne serait pas matière (qui est pleine), il ne serait pas esprit, car on ne peut concevoir un esprit qui soit vide, il ne serait pas Dieu, car il serait privé même de soi, il ne serait ni substance ni accident, il transmettrait la lumière sans être hyalin… Que serait-il alors ?
    Avec humble assurance, le jeune avait dit, tenant les yeux baissés :
    — Peut-être serait-il quelque chose à mi-chemin entre la matière et le néant, et il ne participerait ni de l’une ni de l’autre. Il différerait du néant par sa dimension, de la matière par son immobilité. Il serait un quasi non-être. Pas supposition. Pas abstraction. Il serait. Il serait (comment pourrais-je dire ?) un fait. Pur et simple.
    — Qu’est-ce qu’un fait pur et simple, dénué de toute détermination ? avait demandé avec scolastique arrogance Roberto, qui du reste n’avait pas de préventions sur le sujet, et voulait lui aussi faire assaut de

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