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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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délices, à la plus exquise des souffrances.

35.
    La Consolation des Navigants
    Ferrante avait raconté à Lilia, désormais disposée à croire toute fausseté qui sortirait de ces lèvres aimées, une histoire presque vraie, sauf que lui y prenait le rôle de Roberto, et Roberto son rôle à lui ; et il l’avait convaincue de sacrifier tous les bijoux d’un coffret qu’elle avait emporté avec elle, pour retrouver l’usurpateur et lui extorquer un document d’importance capitale pour les destinées de l’État, que l’autre lui avait extorqué, et dont la restitution lui eût pu obtenir le pardon du Cardinal.
    Après sa fuite des côtes françaises, la première relâche de la Tweede Daphne avait eu lieu à Amsterdam. Là, Ferrante pouvait trouver, en espion double qu’il était, qui lui révélerait quelque chose sur un navire appelé Amaryllis . Quoi qu’il eût appris, quelques jours plus tard il était dans Londres à la recherche de quelqu’un. Et l’homme à qui se fier ne pouvait être qu’un perfide de sa race, disposé à trahir ceux pour qui il trahissait.
    Et voilà Ferrante qui entre, après avoir reçu de Lilia un diamant d’une grande pureté, nuitamment dans un bouge où l’accueille un être de sexe incertain, jadis peut-être eunuque chez les Turcs, le visage glabre et une bouche si petite qu’on eût dit qu’il souriait seulement s’il remuait le nez.
    La pièce où il se dissimulait inspirait l’épouvante pour un monticule d’os fuligineux qui brûlaient d’un feu moribond. Dans un coin, pendu par les pieds, un cadavre nu dont la bouche sécrétait du jus couleur d’ortie dans une coque d’orichalque.
    L’eunuque reconnut en Ferrante un frère dans le crime. Il entendit la question, il vit le diamant, et il trahit ses maîtres. Il précéda Roberto dans une autre pièce, qui semblait la boutique d’un apothicaire, pleine de pots de terre, verre, étain, cuivre. Toutes substances qui pouvaient être utilisées pour apparaître différent de ce qu’on était, aussi bien par des mégères qui voulaient avoir l’air belles et jeunes, que par des fripouilles qui voulaient altérer leur aspect : fards, émollients, racines d’asphodèle, écorces de dragonnier et d’autres substances qui affinaient la peau, faites avec de la moelle de chevreuil et des eaux de chèvrefeuille. Il avait des pâtes pour blondir les cheveux, composées d’yeuse, de seigle, marrube, salpêtre, alun et mille-feuille ; ou pour changer de carnation, de vache, ours, jument, chameau, couleuvre, lapin, baleine, butor, daim, chat sauvage ou loutre. Et encore des huiles pour le visage, de styrax, citron, pignon, orme, lupin, vesce et pois chiche, et une étagère de vessies pour qu’apparaissent vierges les pécheresses. Pour qui voulait prendre quelqu’un aux lacs de l’amour, il avait des langues de vipère, des têtes de caille, des cervelles d’âne, de la fève mauresque, des pattes de blaireau, des pierres de nid d’aigle, des cœurs de suif hérissés d’aiguilles brisées, et d’autres objets faits de boue et de plomb, des plus répugnants à voir.
    Au milieu de cette pièce se trouvait une table, et sur celle-ci une cuvette couverte d’un linge ensanglanté, que l’eunuque lui indiqua d’un air entendu. Ferrante ne comprenait pas, et l’autre lui dit qu’il était arrivé précisément chez la personne qu’il lui fallait. En effet, l’eunuque n’était autre que celui qui avait blessé le chien du docteur Byrd, et qui, chaque jour, à l’heure convenue, mouillant dans l’eau de vitriol le chiffon imprégné du sang de l’animal, ou l’approchant du feu, transmettait à l’Amaryllis les signaux que Byrd attendait.
    L’eunuque raconta tout du voyage de Byrd, et des ports qu’il toucherait certainement. Ferrante, qui, en vérité, ne savait presque rien de l’affaire des longitudes, ne pouvait imaginer que Mazarin eût envoyé Roberto sur ce vaisseau dans le seul but de découvrir quelque chose qui à lui désormais paraissait évident et il en avait conclu qu’en réalité Roberto devait au bout du compte révéler l’emplacement des Îles de Salomon au Cardinal.
    Il jugeait la Tweede Daphne plus rapide que l’Amaryllis , avait confiance dans sa bonne étoile, pensait qu’il rejoindrait aisément le navire de Byrd quand, une fois que celui-ci aurait abordé dans les Îles, il pourrait aisément en surprendre l’équipage à terre, l’exterminer (y compris

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