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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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peut-être ? Non, il retomberait sur la lune. Donc la lune, à l’égal de toute autre planète ou étoile, n’importe, est un univers qui a un centre et une circonférence à soi, et ce centre attire tous les corps qui vivent dans la sphère de domination de ce monde-là. Ainsi qu’il en va pour la terre. Et alors, pourquoi ne pourrait-il aussi arriver à la lune tout le reste qui arrive à la terre ?
    Une atmosphère enveloppe la lune. Le Dimanche des Rameaux d’il y a quarante ans, quelqu’un n’a-t-il pas vu, à ce que l’on m’a dit, des nuages sur la lune ? Ne voit-on pas sur cette planète un grand frémissement aux approches d’une éclipse ? Et qu’est-ce autre chose sinon la preuve qu’il y a de l’air ? Les planètes dégagent des vapeurs, et les étoiles aussi – que sont d’autre les taches dont on dit qu’elles seraient sur le soleil, d’où s’engendrent les étoiles filantes ?
    Et sur la lune il y a certainement de l’eau. Comment alors expliquer ses taches, sinon en tant qu’image de lacs (au point que quelqu’un a suggéré que ces lacs seraient artificiels, œuvre humaine ou presque, tellement ils sont bien dessinés et distribués à équidistance) ? En outre, si la lune avait été conçue seulement comme un grand miroir qui sert à réfléchir sur la terre la lumière du soleil, pourquoi le Créateur aurait-il dû maculer ce miroir ? Par conséquent les taches ne sont pas des imperfections, mais des perfections, et donc des étangs ou des lacs ou des mers. Et si là-bas il y a de l’eau et de l’air, il y a de la vie.

    Une vie sans doute différente de la nôtre. Sans doute cette eau a-t-elle le goût (que sais-je ?) de réglisse, de cardamome, voire de poivre. S’il y a des mondes infinis, c’est là une preuve de l’infini génie de l’ingénieur de notre univers, et alors il n’est point de limites à ce Poète. Il peut avoir créé partout des mondes habités, mais par des créatures toujours différentes. Peut-être les habitants du soleil sont-ils plus solaires, clairs et illuminés que les habitants de la terre, lesquels sont appesantis par la matière, et les habitants de la lune se trouvent entre les deux. Dans le soleil vivent des êtres tout forme, ou Acte si l’on préfère, sur la terre des êtres faits de pures Puissances qui évoluent, et sur la lune ils sont in medio fluctuantes , autrement dit passablement lunatiques…
    Pourrions-nous vivre dans l’air de la lune ? Peut-être pas, à nous il donnerait le vertige ; d’autre part les poissons ne peuvent vivre dans le nôtre, ni les oiseaux dans celui des poissons. Cet air doit être plus limpide que le nôtre, et comme le nôtre, à cause de sa densité, fait office de lentille naturelle qui filtre les rayons du soleil, les Séléniens verront le soleil avec une bien autre évidence. L’aube et la brune, nous éclairant quand le soleil n’est pas encore ou qu’il n’est plus, sont un don de notre air qui, riche d’impuretés, en capture et transmet la lumière ; lumière que nous ne devrions pas avoir, lumière prodiguée à profusion. Mais, ce faisant, ces rayons nous préparent à l’acquisition et à la perte du soleil peu à peu. Sans doute sur la lune, où l’air est plus fin, a-t-on des jours et des nuits qui arrivent tout soudain. Le soleil se lève d’un coup à l’horizon comme à l’ouverture d’un rideau. Puis, de la lumière la plus éclatante, les voici qui tombent d’un coup dans le noir le plus bitumeux. Et à la lune ferait défaut l’arc-en-ciel, qui est un effet des vapeurs mêlées à l’air. Mais sans doute pour les mêmes raisons n’ont-ils ni pluies ni tonnerres ni éclairs.
    Et comment seront-ils donc, les habitants des planètes les plus voisines du soleil ? Fougueux comme les Mores, mais de beaucoup plus spirituels que nous. De quelle grandeur verront-ils donc le soleil ? Comment peuvent-ils en souffrir la lumière ? Là-bas peut-être les métaux fondent-ils à l’état naturel et courent-ils en fleuves ?

    Mais il existe vraiment des mondes infinis ? Une question de ce genre, à Paris, donnait lieu à un duel. Le Prévôt de Digne disait ne pas savoir. Ou plutôt, l’étude de la physique l’inclinait à dire que oui, dans le sillage du grand Épicure. Le monde ne peut être qu’infini. Des atomes qui se pressent dans le vide. Que les corps existent, la sensation en témoigne. Que le vide existe, en témoigne la raison. Comment et où,

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