L'Ile du jour d'avant
s’épandait en un seul givre. Et une autre avait la face même du soleil finement sculptée, avec une suite de becs sur sa circonférence, si bien que l’astre ne ruisselait pas de rayons mais de fraîcheur.
Sur une autre roulait un cylindre qui éjaculait de l’eau d’une série de cannelures en spirale. Il s’en trouvait en gueule de lion ou de tigre, en babines de griffon, en langue de serpent, et même comme femme qui pleurait et des yeux et des tétons. Pour le reste ce n’était qu’un vomissement de faunes, un dégorgement d’êtres ailés, un jaillissement de cygnes, une douche de trompes d’éléphant nilotique, un épanchement d’amphores alabastrines, une saignée de cornes d’abondance.
Toutes visions qui pour Roberto – à y bien regarder – étaient, tomber de Charybde en Scylla.
Pendant ce temps-là, dans le vallon, les amoureux maintenant repus n’eurent qu’à tendre la main et accepter d’une vigne riche de pampres le don de ses trésors, et un figuier, comme s’il voulait répandre des pleurs de tendresse pour cette union épiée, versa des larmes de miel, alors que sur un amandier qui tout s’engemmait de fleurs, gémissait la Colombe Couleur Orange…
Jusqu’au moment où Roberto s’éveilla, trempé de sueur.
« J’ai cédé, et comment, se disait-il, à la tentation de vivre par le truchement de Ferrante, mais à présent je m’aperçois que c’est Ferrante qui a vécu par mon truchement à moi, et quand je bâtissais des châteaux en Espagne, lui vivait vraiment ce que j’ai consenti qu’il vécût ! »
Pour refroidir sa rage et avoir des visions qui – au moins celles-là – à Ferrante étaient refusées, il avait filé de grand matin, funain au flanc et Persona Vitrea sur la face, vers son monde des coraux.
36.
L’Homme au Point
Arrivé à la limite de la barrière, Roberto naviguait le visage submergé entre ces loges éternelles, mais il ne parvenait pas à admirer, serein, ces pierres animées parce qu’une Méduse l’avait changé en roche inanimée. Dans son rêve Roberto avait bien vu les regards que Lilia réservait à l’usurpateur : si encore dans le rêve ces regards l’avaient enflammé, maintenant dans le souvenir ils le glaçaient.
Il voulut se réapproprier sa Lilia, nagea en enfonçant sa face le plus profond possible, comme si cette étreinte avec la mer pouvait lui conférer la palme que dans le rêve il avait attribuée à Ferrante. Cela ne coûta pas grand effort à son esprit éduqué à forger des traits, que d’imaginer Lilia dans chaque cadence onduleuse de ce parc immergé, de voir ses lèvres dans chaque fleur où il aurait voulu se perdre comme une abeille gourmande. En de transparents vergers il retrouvait le crêpe qui lui avait couvert le visage les premières nuits, et il tendait la main pour soulever cet écran.
Dans cette griserie de la raison, il s’affligeait que ses yeux ne pussent porter aussi loin que son cœur désirait, et parmi les coraux il cherchait l’armille de la femme aimée, le filet de ses cheveux, la pendeloque qui lui attendrissait le lobe de l’oreille, les colliers somptueux qui ornaient son col de cygne.
Perdu dans sa chasse, il se laissa attirer à un moment donné par un joyau qui lui apparaissait dans une fente, ôta son masque, cambra les reins, leva avec force ses jambes et s’élança vers le fond. La poussée avait été excessive, il voulut s’agripper au bord d’une déclivité, et ce ne fut qu’un instant avant d’arrêter les doigts autour d’un gros caillou plein de croûtes qu’il lui sembla voir s’ouvrir un œil gras et sommeilleux. En cet éclair il se rappela que le docteur Byrd lui avait parlé d’un Poisson Pierre qui se niche parmi les grottes coralliennes pour surprendre toute créature vivante par le venin de ses écailles.
Trop tard : la main s’était posée sur la Chose et une douleur intense lui avait traversé le bras jusqu’à l’épaule. D’un coup de reins il avait miraculeusement réussi à ne pas finir et le visage et la poitrine sur le Monstre, mais pour figer son inertie il avait dû le frapper avec le masque qui, dans le choc, s’était brisé, et en tout cas il lui avait fallu l’abandonner. Faisant force avec ses pieds sur le rocher situé au-dessous, il était revenu à la surface, alors que pendant quelques secondes il avait encore vu la Persona Vitrea couler Dieu sait où.
Sa main droite et tout son avant-bras étaient enflés,
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