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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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avez l’habitude de voir qu’à chaque mal on a trouvé quelque remède, et il n’est blessure sans son baume, ni poison sans sa thériaque. Mais ne pensez pas qu’il en va de même en enfer. Là, il est vrai, sont suprêmement harcelantes les brûlures, mais nul lénitif qui les radoucisse ; dévorante la soif, mais nulle eau qui la rafraîchisse ; de loup la faim, mais nulle nourriture qui l’assouvisse ; atroce la honte, mais nulle couverture qui la dissimule. Or donc s’il y avait pour le moins une mort, qui mît un terme à tant de malheurs, une mort, une mort… Mais ceci est le pire, car là jamais vous ne pourrez même espérer une grâce par ailleurs si endeuillée telle que celle d’être exterminés ! Vous chercherez la mort sous toutes ses formes, vous chercherez la mort, et vous n’aurez oncques la fortune de la trouver. Mort, Mort, où es-tu (irez-vous criant sans trêve), y aura-t-il un démon si compatissant qu’il nous la donne ? Et vous comprendrez alors que là-bas la peine n’a plus de fin ! »
    Le vieux à ce moment faisait une pause, tendait les bras les mains au ciel, sifflant à voix basse, comme pour confier un terrible secret qui ne devait pas sortir de cette nef. « La peine n’a plus de fin ? Cela veut dire que nous nous affligerons jusqu’à ce qu’un petit chardonneret, revenu boire une goutte par an, puisse arriver à assécher toutes les mers ? Plus que cela. In saecula . Notre peine durera jusqu’à ce qu’un ciron des plantes, revenant donner une morsure par an, puisse arriver à avaler tous les bois ? Plus que cela. In saecula . Notre peine durera alors jusqu’à ce qu’une fourmi, avançant d’un seul pas par an, puisse avoir fait tout le tour de la terre. Plus que cela. In saecula . Et si tout cet univers était un seul désert de sable, et qu’à chaque siècle en fut enlevé un seul grain, aurions-nous fini peut-être de nous affliger quand l’univers serait de fond en comble déblayé ? Même pas. In saecula . Imaginons qu’un damné après des millions de siècles verse deux larmes seulement, sa peine cessera-t-elle alors si son pleur était à même de créer un plus grand déluge que celui où anciennement se perdit tout le genre humain ? Allons, allons, finissons-en, nous ne sommes pas des enfants ! Si vous voulez que je vous le dise : in saecula, in saecula les damnés devront endurer leur peine, in saecula , autant dire dans des siècles sans nombre, sans terme, sans mesure. »
    À présent le visage du père Caspar paraissait celui du carme de la Grive. Il levait son regard au ciel comme pour y trouver une seule espérance de miséricorde : « Mais Dieu, disait-il de la voix du pénitent digne de compassion, mais Dieu ne s’afflige-t-il pas à la vue de nos afflictions ? N’adviendra-t-il pas qu’il conçoive un mouvement de sollicitude, n’adviendra-t-il pas qu’à la fin Il se montre, pour que nous soyons au moins consolés par son pleur ? Hélas, ingénus que vous êtes ! Dieu malheureusement se montrera, vous n’imaginez pas encore comment ! Quand nous lèverons les yeux, nous verrons que Lui (devrais-je le dire ?), nous verrons que Lui, devenu pour nous un Néron, pas par injustice mais par sévérité, non seulement ne voudra pas nous consoler ou nous secourir ou nous plaindre, mais avec un plaisir inconcevable Il rira ! Songez donc dans quels états d’âme nous devrions nous mettre ! Nous brûlons, dirons-nous, et Dieu rit ? Nous brûlons, et Dieu rit ? Oh Dieu d’infinie cruauté ! Pourquoi ne nous déchires-Tu pas avec Tes foudres, plutôt que de nous insulter avec Tes ris ? Double donc les langues de nos flammes, ô sans-merci, mais point n’en veuille jouir ! Ah, ris à nous plus amer que notre pleur ! Ah joie à nous plus douloureuse que nos malheurs ! Pourquoi notre enfer n’a-t-il pas des abîmes où pouvoir échapper au visage d’un Dieu qui rit ? Trop nous leurra qui nous dit que notre punition serait de contempler la face d’un Dieu indigné. D’un Dieu riant, fallait-il nous dire au contraire, d’un Dieu riant… Pour ne pas discerner et entendre ce rire, nous voudrions que nous tombassent les montagnes sur la tête, ou que la terre manquât sous nos pieds. Mais non, car hélas nous verrons ce qui nous fait mal et nous serons aveugles et sourds à tout, sauf à ce à quoi nous voudrions être sourds et aveugles ! »
    Roberto sentait le rance de la provende des gallinacés dans les

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