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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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dix mille ans sur la Daphne .

    C’étaient de nombreuses et bizarres découvertes de terres que Roberto aurait bien voulu découvrir. Mais à un moment donné de ses rêveries, il voulut pour les deux amants un lieu moins peuplé afin qu’ils pussent jouir de leur amour.
    Il les fit ainsi arriver à une septième et très amène plage égayée par un boqueteau qui s’élevait juste sur le rivage. Ils le traversèrent et se trouvèrent dans un jardin royal où, le long d’une allée arborée qui parcourait des prés décorés de parterres, sourdaient moult fontaines.
    Mais Roberto, comme si les deux amants cherchaient un plus intime refuge, et lui de nouveaux tourments, les fit passer sous un arc fleuri, au-delà duquel ils pénétrèrent dans un vallon où bruissaient les flèches d’une roselière palustre sous un doux zéphyr qui répandait alentour des parfums mêlés et d’un petit lac s’épanchait en un luisant passage un filet d’eaux pures comme des rangs de perles.
    Il voulut – et il me semble que sa mise en scène suivait toutes les règles – que l’ombre d’un chêne touffu encourageât les amants à l’agape, et il y ajouta des platanes joyeux, d’humbles arbousiers, des genévriers piquants, de fragiles tamaris et de souples tilleuls, qui faisaient couronne à un pré, illustré telle une tapisserie orientale. De quoi pouvait l’avoir enluminé la nature, peintre du monde ? De violettes et narcisses.
    Il laissa les deux amants s’abandonner, tandis qu’un pavot sauvage mollement levait du lourd oubli sa tête ensommeillée, pour s’abreuver à ces humides soupirs. Et puis, il préféra que, humilié par tant de beauté, il s’empourprât de honte et de ridicule. Comme lui, Roberto, du reste, et nous devrions dire qu’il ne l’avait pas volé.

    Alors, pour ne plus voir ce pour quoi il eût tellement voulu être vu, Roberto, avec sa morphéique omniscience, monta dominer l’île entière, où maintenant les fontaines commentaient le miracle amoureux dont elles se voulaient paranymphes.
    Il y avait des colonnettes, des flacons, des fioles d’où sortait un seul jet – ou un grand nombre d’un grand nombre de petites tuyères, – d’autres avaient à leur faîte comme une arche, dont les fenêtres laissaient couler un torrent qui formait en tombant un saule doublement pleureur. L’une d’elles, tel un seul fut cylindrique, engendrait à son sommet quantité de cylindres plus petits tournés dans diverses directions, comme s’il s’agissait d’une casemate ou d’une forteresse ou d’un vaisseau de ligne armé de bouches à feu, qui cependant faisaient une artillerie d’eaux.
    Il y en avait d’empanachées, de chevelues et de barbues, en autant de variétés que les étoiles des Rois mages dans les crèches, dont les bouillons imitaient la queue. Sur une autre se juchait la statue d’un enfant qui, de sa main gauche, soutenait une ombrelle dont les nervures donnaient naissance à autant de jets ; de sa main droite l’enfant tendait son petit membre et confondait dans un bénitier son urine avec les eaux qui provenaient de la coupole.
    Sur le chapiteau d’une autre encore, était perché un poisson à grande queue qui paraissait avoir tout juste avalé Jonas, et il répandait ses eaux de la bouche et de deux pertuis qui s’ouvraient au-dessus de ses yeux. À cheval sur son dos se trouvait un Amour muni d’un trident. Une fontaine en forme de fleur supportait une boule au bout de son jet ; une autre était un arbre dont les nombreuses fleurs faisaient chacune tournoyer une sphère, et il semblait que quantité de planètes évoluaient les unes autour des autres dans la sphère de l’eau. Il y en avait où les pétales mêmes de la fleur étaient formés par l’eau regorgeant d’une fente circulaire qui ourlait un disque placé sur la colonne.
    Pour remplacer l’air par l’eau, il y en avait à tuyaux d’orgue, qui n’émettaient pas de sons mais des souffles liquéfiés, et pour remplacer l’eau par le feu il y en avait en forme de candélabre, où de petites flammes allumées au centre de la colonne porteuse jetaient leurs lumières sur les écumes débordant de toutes parts.
    Une autre avait l’air d’un paon, une aigrette, une ample queue ouverte, à qui le ciel fournissait ses couleurs. Pour ne rien dire de certaines qui semblaient des supports pour un coiffeur de perruques, et se paraient de chevelures cascadantes. Dans l’une, un tournesol

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