L'Ile du jour d'avant
Bref, en concluait Roberto, pour éviter les guerres il ne faudrait jamais faire des traités de paix.
Au mois de décembre 1629, les Français franchissaient de nouveau les Alpes ; selon les pactes Charles Emmanuel aurait dû les laisser passer, mais, histoire de donner preuve de loyauté, il reproposait ses prétentions sur le Montferrat et sollicitait six mille soldats français pour assiéger Gênes, qui était vraiment son idée fixe. Richelieu, qui le considérait comme un serpent, ne disait ni oui ni non. Un capitaine, qui s’habillait à Casal comme s’il figurait à la cour, évoquait une journée du mois de février passé : « Grande et belle fête, mes amis, il manquait les musiciens du Palais royal, mais il y avait les fanfares ! Sa Majesté, suivie par l’armée, chevauchait devant Turin dans un costume noir brodé d’or, une plume au chapeau et la cuirasse coruscante ! » Roberto s’attendait au récit d’un grand assaut, nenni, là aussi ce ne fut qu’une parade ; le roi n’attaquait pas, il faisait par surprise une déviation sur Pinerolo et s’en appropriait, ou s’en réappropriait, vu que quelque cent ans avant c’était une ville française. Roberto avait une vague idée du lieu où se situait Pinerolo, et il ne comprenait pas pour quelle raison l’on dût prendre cette ville-là pour libérer Casal.
« Serions-nous par hasard assiégés à Pinerolo ? » se demandait-il.
Le pape, préoccupé par la tournure que prenaient les événements, envoyait un de ses représentants à Richelieu pour lui recommander de restituer la ville aux Savoie. La tablée s’était prodiguée en potins sur cet envoyé, un certain Giulio Mazzarini : un Sicilien, un Romain de la plèbe, allons donc – renchérissait l’abbé – le fils naturel d’un campagnard romain de basse extraction, devenu, on ne sait comme, capitaine servant le pape mais faisant tout pour gagner la confiance de Richelieu, qui désormais ne jurait que par lui. Et il fallait l’avoir à l’œil étant donné qu’en ce moment il allait ou allait partir vers Ratisbonne, qui se trouve chez le diable, et c’était là-bas que se décidaient les destinées de Casal, pas avec quelques galeries de mine ou de contremine.
Pendant ce temps, Charles Emmanuel cherchait de couper les communications aux troupes françaises, alors Richelieu s’emparait aussi d’Annecy et de Chambéry et Savoyards et Français s’affrontaient à Avigliana. Dans cette lente partie, les Impériaux menaçaient la France en entrant en Lorraine, Wallenstein se mettait en marche pour aider les Savoie, et au mois de juillet une poignée d’impériaux transportés sur des bacs avait pris par surprise une enceinte à Mantoue, les troupes au complet avaient pénétré dans la ville, l’avaient mise à sac durant soixante-dix heures, vidant le palais ducal de fond en comble et, histoire de tranquilliser le pape, les luthériens de l’armée impériale avaient pillé toutes les églises de la ville. Oui, précisément ces lansquenets que Roberto avait vus, envoyés pour prêter main-forte à Spinola.
L’armée française était encore engagée au nord et personne ne pouvait dire si elle arriverait à temps, avant que Casal ne tombât. Il ne restait plus qu’à espérer en Dieu, avait dit l’abbé : « Messieurs, savoir que l’on doit rechercher les moyens humains comme si les divins n’existaient pas, et les divins comme si n’existaient pas les moyens humains, est vertu politique. Espérons donc en les moyens divins », s’était exclamé un gentilhomme, mais d’un ton fort peu contrit, et agitant si bien sa coupe qu’il fit tomber du vin sur la casaque de l’abbé. « Monsieur, vous m’avez maculé de vin », s’était écrié l’abbé, pâlissant – façon dont l’on s’indignait en ce temps-là. « Supposez, avait répondu l’autre, que cela vous soit arrivé pendant la consécration. Vin celui-là, vin celui-ci.
— Monsieur de Saint-Savin, avait crié l’abbé en se levant et portant la main à l’épée, ce n’est pas la première fois que vous déshonorez votre nom en blasphémant le nom de Notre Seigneur ! Mieux vous en aurait pris, Dieu me pardonne, de rester à Paris pour déshonorer les dames, selon votre usage à vous, pyrrhoniens !
— Allons, allons, avait répondu Saint-Savin, d’évidence ivre, nous, pyrrhoniens, nous rendions en musique chez les dames et les hommes qui avaient de l’estomac et
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