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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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voulaient jouer quelque bon tour s’unissaient à nous. Mais, quand la dame ne se penchait pas à sa fenêtre, nous savions bien qu’elle s’éclipsait pour ne pas abandonner le lit qu’était en train de lui chauffer l’ecclésiastique de famille. »
    Les autres officiers s’étaient levés et retenaient l’abbé qui voulait tirer l’épée de son fourreau. Monsieur de Saint-Savin est troublé par le vin, lui disaient-ils, l’on devait tout de même concéder quelque chose à un homme qui, ce jour, s’était bien battu, et un peu de respect pour les compagnons morts depuis peu.
    « Soit, avait conclu l’abbé en quittant la salle, monsieur de Saint-Savin, je vous invite à terminer la nuit en récitant un De Profundis pour nos amis disparus, et m’en tiendrai pour satisfait. »
    L’abbé sorti, Saint-Savin, qui se trouvait assis juste à côté de Roberto, s’était replié sur l’épaule du jeune de la Grive et avait commenté : « Les chiens et les oiseaux des fleuves ne font pas plus de bruit que nous n’en faisons en hurlant un De Profundis. Pourquoi tant de sonneries de cloches et tant de messes pour ressusciter les morts ? » Il avait vidé d’un coup sa coupe, il avait averti Roberto, le doigt levé, comme pour le former à une vie droite et aux plus hauts mystères de notre sainte religion :
    « Monsieur, soyez fier : aujourd’hui vous avez effleuré une belle mort et comportez-vous dans le futur avec autant de nonchaloir, sachant que l’âme meurt avec le corps. Et donc allez à la mort après avoir goûté à la vie. Nous sommes des animaux d’entre les animaux, les uns comme les autres enfants de la matière, sauf que nous sommes plus désarmés. Mais puisque à la différence des bêtes nous savons que nous devons mourir, préparons-nous à ce moment-là en jouissant de la vie qui nous a été donnée par le hasard et par hasard. Que la sagesse nous apprenne à employer nos jours à boire et converser aimablement, ainsi qu’il convient aux gentilshommes, dans le mépris des âmes viles. Compagnons, la vie est notre débitrice ! Nous voilà pourrissant à Casal, et nous sommes nés trop tard pour jouir des temps du bon roi Henri, quand, au Louvre, vous rencontriez des bâtards, des singes, des fols et des fous de cour, des nains et des culs-de-jatte, des musiciens et des poètes, et que le souverain s’en amusait. À présent, des jésuites lascifs comme des boucs tonnent contre qui lit Rabelais et les poètes latins, et ils nous voudraient tous vertueux pour occire les huguenots. Seigneur Dieu, la guerre est belle mais je veux me battre pour mon plaisir et non pas parce que mon adversaire mange de la viande le vendredi. Les païens étaient plus sages que nous. Ils avaient eux aussi trois dieux, mais au moins leur mère Cybèle ne prétendait pas les avoir mis au monde en restant vierge.
    — Monsieur, avait protesté Roberto, tandis que les autres riaient.
    — Monsieur, avait répondu Saint-Savin, la première qualité d’un honnête homme est le mépris de la religion, qui nous veut craintifs devant la chose la plus naturelle du monde, qui est la mort, haïsseurs de la seule chose belle que le destin nous a donnée, qui est la vie, et aspirant à un ciel où d’éternelle béatitude ne vivent que les planètes, qui ne jouissent ni de récompenses ni de condamnations, mais de leur éternel mouvement dans les bras du vide. Soyez fort comme les sages de l’antique Grèce et regardez à la mort sans ciller et sans peur. Jésus a trop sué en l’attendant. Qu’est-ce qu’il avait à redouter, d’ailleurs, puisqu’il ressusciterait ?
    — Il suffît, monsieur de Saint-Savin, lui avait quasi intimé un officier en le prenant par le bras. Ne faites pas scandale aux yeux de notre jeune ami, car il ne sait pas encore qu’à Paris de nos jours l’impiété est la forme la plus exquise du bon ton, et il pourrait vous prendre trop au sérieux. Et allez dormir vous aussi, monsieur de la Grive. Sachez que le bon Dieu est si secourable qu’il pardonnera même à monsieur de Saint-Savin. Comme disait le théologien, fort est un roi qui tout détruit, plus forte une femme qui tout obtient, mais plus fort encore le vin qui noie la raison.
    — Vous citez à moitié, monsieur, avait bafouillé Saint-Savin tandis que deux de ses compagnons le traînaient dehors presque à bout de bras, on attribue cette phrase à la Langue, qui avait ajouté : plus forte encore est

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