L'Ile du jour d'avant
d’amour.
— L’amour obéit aux mêmes lois que le vent, et les vents se ressentent toujours des lieux d’où ils proviennent : s’ils proviennent de potagers et de jardins, ils peuvent répandre un parfum de jasmin, ou de menthe, ou de romarin, et ainsi ils donnent aux mariniers le désir de toucher la terre qui leur envoie tant de promesses. Non dissemblablement les esprits amoureux enivrent les narines du cœur énamouré (et pardonnons à Roberto ce fort malheureux trope). Le cœur aimé est un luth qui accorde en consonance les cordes d’un autre luth, de même que le son des cloches agit sur la superficie des cours d’eau, principalement la nuit quand, en l’absence d’autre rumeur, il se fait dans l’eau le même mouvement qui s’était fait dans l’air. Il arrive au cœur aimant ce qui arrive au tartre, qui parfois parfume d’eau de rose, quand on l’a laissé à dissoudre dans l’obscurité d’une cave en la saison des roses et que l’air, plein des atomes de rose, se changeant en eau par l’attraction du sel de tartre, parfume le tartre. Et n’y peut mais la cruauté de l’aimée. Une futaille de vin, en la saison que les vignes sont en fleur, fait une fermentation et pousse à la superficie sa fleur blanche qui reste jusqu’à ce que soient tombées les fleurs des vignes. Mais le cœur aimant, plus opiniâtre que le vin, quand il fleurit au fleurir du cœur aimé, cultive son germe même lorsque la source s’est tarie.
Il lui sembla surprendre un regard attendri de Lilia, et il poursuivit :
— Aimer est comme faire un Bain de Lune. Les rayons qui viennent de la lune sont ceux du soleil, réfléchis jusqu’à nous. Si l’on concentre les rayons du soleil avec un miroir, on en renforce la puissance caléfactive. En concentrant les rayons de la lune dans un bassin d’argent, vous verrez que son fond concave en réfléchit les rayons réfléchissants à cause de la rosée qu’ils contiennent. Il semble insensé de se laver les mains dans un bassin vide : néanmoins on se retrouve avec les mains tout humides, et c’est un remède infaillible pour faire tomber les porreaux.
— Monsieur de la Grive, avait dit quelqu’un, mais l’amour n’est pas un remède contre les porreaux !
— Oh, non, du tout, s’était repris Roberto, intarissable désormais, j’ai donné des exemples qui viennent des choses les plus viles pour vous rappeler comment l’amour aussi dépend d’une seule poussière de corpuscules. Ce qui est une façon de dire que l’amour relève des mêmes lois qui gouvernent aussi bien les corps sublunaires que les corps célestes, sauf que de ces lois il est la plus noble des manifestations. L’amour naît de la vue, et c’est à première vue qu’il s’embrase : et qu’est-ce d’autre que la vue sinon l’accès d’une lumière réverbérée du corps que l’on regarde ? En le voyant, mon corps est pénétré par la meilleure partie du corps aimé, la plus aérienne, qui par le canal des yeux gagne aussitôt le cœur. Et donc aimer à première vue, c’est boire les esprits du cœur de l’aimée. Le grand Architecte de la nature, quand il a composé notre corps, y a mis des esprits internes en guise de sentinelles pour rapporter leurs découvertes à leur général, c’est-à-dire l’imagination, qui est comme la maîtresse de la famille du corps. Et si elle est frappée de quelque objet, il arrive ce qui se fait quand on entend jouer des violes et que nous emportons leur mélodie en la mémoire et l’entendons jusque dans le sommeil. Notre imagination en bâtit un simulacre qui ravit l’amant, à moins qu’il ne le déchire pour n’être précisément que simulacre. De là vient que quand un homme est surpris par la vue de la personne aimable, il change de couleur, rougit et pâlit, selon que ces ministres qui sont les esprits internes vont vite ou lentement vers l’objet puis s’en retournent vers l’imagination. Cependant ces esprits ne vont pas seulement au cerveau, mais directement au cœur par le grand passage qui entraîne du cœur au cerveau les esprits vitaux pour être faits esprits animaux ; et toujours par ce passage l’imagination envoie au cœur une partie des atomes qu’elle a reçus de quelque objet externe, et ce sont ces atomes qui produisent cette ébullition des esprits vitaux, lesquels tantôt dilatent le cœur, tantôt le portent à la syncope.
— Vous nous dites, monsieur, que l’amour procède comme un
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