L'Ile du jour d'avant
d’une rivière entraîne de la terre de son lit. Car l’air étant humide et le feu sec, ils ne peuvent moins faire que de s’attacher l’un à l’autre. Donc, pour remplir la place de celui qu’a emporté le feu, il faut qu’un nouvel air vienne des lieux circonvoisins, sinon il se créerait du vide.
— Alors vous niez le vide ?
— Nullement. Je dis que, à peine elle en rencontre, la nature cherche à le remplir d’atomes, dans une lutte pour en conquérir chaque région. Et s’il en était autrement, ma Poudre de Sympathie ne pourrait agir, comme au contraire l’expérience vous a montré. Le feu provoque par son action un constant afflux d’air et le divin Hippocrate purifia de la peste une province entière en demandant qu’on allume partout de grands feux. En temps de peste on tue toujours les chats et les pigeons et autres animaux chauds qui font continuellement une grande transpiration d’esprits, afin que l’air prenne la place des esprits libérés au cours de cette évaporation, faisant de sorte que les atomes pestiférés s’attachent aux plumes et au poil de ces animaux, comme le pain tiré du four attire à soi la mousse de la futaille et gâte le vin si on le met sur le bondon. Ainsi qu’il arrive du reste si vous exposez à l’air une livre de sel de tartre dûment calciné et brûlé, qui rendra dix livres de bonne huile de tartre. Le médecin du Pape Urbain VIII m’a raconté l’histoire d’une religieuse romaine qui, par excès de jeûnes et d’oraisons, s’était tellement échauffé le corps que ses os étaient tout desséchés. Cette chaleur interne attirait donc l’air qui se corporifiait dans les os comme il le fait dans le sel de tartre, et il sortait au point où se tient l’égout des sérosités du corps, qui est la vessie, en sorte que la pauvre sainte rendait plus de deux cents livres d’urine en vingt-quatre heures, miracle que tous prenaient comme preuve de sa sainteté.
— Mais si donc tout attire tout, pour quelle raison les éléments et les corps restent-ils séparés et n’a-t-on pas la collision d’une force quelle qu’elle soit avec une autre ?
— Demande aiguë. Mais comme les corps qui ont un même degré de pesanteur s’assemblent plus facilement, et l’huile s’unit plus aisément à l’huile qu’à l’eau, nous devons en conclure que ce qui unit fermement les atomes d’une même nature est leur rareté ou densité, et les philosophes que vous fréquentez pourraient aussi bien vous le dire.
— Ils me l’ont dit, en me le prouvant avec les différentes sortes de sel : que par ailleurs on les broie ou qu’on les coagule, ils reviennent toujours à leur figure naturelle et le sel commun se présente toujours en cubes à faces carrées, le sel nitre en colonnes à six faces et le sel armoniac en hexagones à six pointes, comme la neige.
— Et le sel d’urine se forme en pentagones, d’où monsieur Davidson explique la forme de chacune des quatre-vingts pierres retrouvées dans la vessie de monsieur Pelletier. Mais si les corps de forme analogue se mêlent avec plus d’affinités, à plus forte raison ils s’attireront plus puissamment que les autres. C’est pourquoi si vous vous brûlez une main vous obtiendrez un soulagement de la souffrance en la laissant un peu de temps devant le feu.
— Mon précepteur, une fois qu’un paysan fut mordu d’une vipère, tint sur la blessure la tête de la vipère…
— Certes. Le poison, qui filtrait jusqu’au cœur, revenait à sa principale source, où il y en avait plus grande quantité. Si en temps de peste vous portez dans une boëtte de la poudre de crapauds, ou même un crapaud et une araignée vive, voire de l’arsenic, cette substance vénéneuse attirera à soi l’infection de l’air. Et les oignons secs germent dans le grenier quand ceux du potager commencent à sortir de la terre.
— Et cela explique aussi les envies des enfants : la mère désire fortement une chose et…
— Là-dessus je serais plus prudent. Parfois des phénomènes analogues ont des causes variées et l’homme de science ne doit pas prêter foi à n’importe quelle superstition. Mais venons à ma poudre. Qu’est-il arrivé quand j’ai soumis pour quelques jours à l’action de la Poudre le linge sale du sang de notre ami ? Premièrement, le soleil et la lune ont attiré d’une grande distance les esprits du sang qui se trouvaient sur le linge, grâce à la chaleur du lieu,
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