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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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qu’il ne pouvait pas connaître, sollicité de répéter ce qu’il n’avait jamais osé. Et pourtant, ce ne pouvait être une méprise, car elle l’avait appelé par son nom.
    Oh, écrit-il s’être dit, aujourd’hui les ruisseaux remontent à leur source, de blancs destriers escaladent les tours de Notre-Dame de Paris, un feu sourit ardent dans la glace, puisqu’il est même advenu qu’Elle m’ait invité. Ou bien non, aujourd’hui le sang coule de la roche, une couleuvre s’accouple avec une ourse, le soleil est devenu noir car mon aimée m’a offert une coupe à laquelle je ne pourrai jamais boire, ne sachant où se trouve le festin…
    À un pas du bonheur, il courait, désespéré, chez lui, le seul lieu où il était sûr qu’elle n’était pas.
    On peut interpréter en un sens beaucoup moins mystérieux les paroles de Lilia : elle lui rappelait simplement sa lointaine allocution sur la Poudre de Sympathie, l’incitait à en dire plus, dans ce même salon d’Arthénice où il avait déjà parlé. Depuis lors, elle l’avait vu silencieux et adorant, et cela ne répondait pas aux règles du jeu, très réglé, de la séduction. Elle le rappelait, dirions-nous aujourd’hui, à son devoir mondain. Allons, lui disait-elle, ce soir-là vous n’avez pas été timide, montez encore sur les mêmes planches, moi je vous attends au passage. Et nous ne saurions attendre un autre défi de la part d’une précieuse.
    En revanche, Roberto avait compris : « Vous êtes timide, et pourtant, il y a quelques soirs de cela, vous ne l’avez pas été, et vous m’avez… (Je pense que la jalousie empêcha et à la fois encouragea Roberto à imaginer la suite de cette phrase)… Donc, demain, encore, sur la même scène, dans le même lieu secret. »
    Il est normal que – son imagination ayant pris le sentier le plus épineux – il eût tout de suite pensé à une confusion de personne, à quelqu’un qui s’était fait passer pour lui, et en sa qualité avait eu de Lilia ce que lui aurait troqué contre sa vie. Réapparaissait donc Ferrante et tous les fils de son passé se renouaient. Alter ego pervers, Ferrante s’était aussi introduit dans cette histoire, jouant sur ses absences, ses retards, ses départs avancés, et au bon moment il avait cueilli le prix du discours de Roberto sur la Poudre de Sympathie.
    Et, tandis qu’il s’angoissait, il avait entendu frapper à la porte. Espoir, rêve d’hommes éveillés ! Il s’était précipité pour ouvrir, persuadé de la voir, elle, sur le seuil : c’était en revanche un officier des gardes du Cardinal accompagné de deux hommes.
    « Monsieur de la Grive, je pense », avait-il dit. Et puis, se présentant comme le capitaine de Bar : « Je regrette, mais je dois le faire : monsieur, vous êtes en état d’arrestation, et je vous prie de me remettre votre épée. Si vous me suivez avec les bonnes manières, nous monterons comme deux bons amis dans la voiture qui nous attend, et vous n’aurez point raison de honte. » Il avait laissé comprendre qu’il ne connaissait pas les motifs de l’arrestation, et souhaité qu’il s’agît d’un malentendu. Formulant le même vœu, Roberto l’avait suivi, muet, et à la fin du trajet, après un passage, avec mille excuses, entre les mains d’un gardien somnolent, il s’était retrouvé dans un cachot de la Bastille.
    Il y était resté deux nuits glaciales, avec la seule et rare visite de rats (sage préparation au voyage sur l’Amaryllis ) et d’un argousin qui, à chaque question, répondait que dans ces lieux étaient passés tant d’hôtes illustres qu’il avait cessé de se demander pourquoi ils y arrivaient ; et si un grand seigneur comme Bassompierre y était depuis sept ans, Roberto était mal venu de commencer à se plaindre au bout de quelques heures.
    Lui ayant laissé ces deux jours pour déguster le pire, le troisième soir de Bar était revenu, lui avait donné de quoi se laver, et lui avait annoncé qu’il devait comparaître par-devant le Cardinal. Roberto comprit du moins qu’il était un prisonnier d’État.

    À leur arrivée au palais, le soir avançait et déjà, d’après le mouvement au portail, on devinait que c’était un soir d’exception. Les escaliers se trouvaient envahis de gens de toutes conditions qui se précipitaient dans des directions opposées ; dans une antichambre, des gentilshommes et des hommes d’Église entraient hors d’haleine, se

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