L'Ile du jour d'avant
point ne suffît une analogie de ce genre pour expliquer les opérations de la nature.
D’Igby avait mis Roberto dans le secret. L’orbe, ou sphère de l’air, est plein de lumière, et la lumière est une substance matérielle et corporelle ; notion que Roberto avait acceptée de bon gré, car dans le cabinet Dupuy il avait entendu que même la lumière n’était rien d’autre que très subtile poussière d’atomes.
— Il est évident, disait d’Igby, que sortant continuellement du soleil et s’élançant avec une merveilleuse vitesse de tous côtés par lignes droites, où elle rencontre quelques obstacles en son chemin par l’opposition de corps solides et opaques, la lumière se réfléchit ad angubs aequales , et reprend un autre cours jusqu’à ce qu’elle ait bricolé vers un autre côté par le choc d’un autre corps solide, et ainsi elle continue tant qu’enfin elle s’éteint. Tout de même qu’au jeu de paume, où la balle poussée contre une des murailles saute de là à l’opposite, et souvent elle fait le circuit complet pour revenir au point d’où elle était partie. Maintenant qu’arrive-t-il quand la lumière tombe sur un corps ? Les rayons y rebondissent, détachant des atomes, des petites particules, tout de même que la balle pourrait emporter avec elle quelque part du plâtre humide qui enduit la muraille. Et pour ce que ces atomes sont composés des quatre Éléments, le chaud de la lumière s’incorpore avec les parties visqueuses et elle les emporte bien loin. Preuve en est que si vous essayez de mettre un linge humide à sécher devant le feu, vous verrez que les rayons que le linge réfléchit emportent avec eux une espèce de brouillas aqueux. Ces atomes errants sont comme des cavaliers montés sur des coursiers ailés qui vont à travers l’espace jusques à ce que le soleil se couchant retire leurs Pégases et les laisse tous sans montures. Et alors ils se reprécipitent en foule vers la terre d’où ils proviennent. Cependant ces phénomènes ne se produisent pas seulement avec la lumière, mais aussi par exemple avec le vent, qui n’est autre chose qu’un grand fleuve de semblables atomes, attirés par des corps solides qui sont sur la terre…
— Et la fumée, suggéra Roberto.
— Certes. À Londres on faisait le feu du charbon de terre qui vient d’Écosse et qui contient une grande quantité de sel volatil très-âcre ; ce sel emporté avec la fumée se dissipe dans l’air, gâtant les murs, les lits et les meubles de couleur claire. Quand on tient une chambre close pendant quelques mois, il s’y trouve après une farine noire qui couvre tout, comme on en voit une blanche dans les moulins et aux boutiques des boulangers. Et au printemps toutes les fleurs apparaissent sales et graisseuses.
— Mais comment se peut-il que tant de corpuscules soient répandus dans l’air et que le corps d’où ils viennent n’en souffre aucune diminution ?
— Il y a peut-être diminution, et vous vous en rendez compte quand vous faites évaporer de l’eau, mais pour les corps solides nous ne le remarquons pas, pas plus que nous ne le remarquons avec le musc et autres substances odorantes. Tout corps, pour petit qu’il soit, se peut toujours diviser en nouvelles parties, sans jamais arriver à la fin de sa division. Considérez la subtilité des corpuscules qui se libèrent d’un corps vivant, par le moyen desquels nos chiens d’Angleterre suivront à l’odorat la piste d’un animal. Le renard, à la fin de sa course, nous paraît peut-être plus petit ? Or donc, c’est justement en vertu de tels corpuscules que se vérifient les phénomènes d’attraction que d’aucuns célèbrent comme Action à Distance, qui n’est pas à distance et donc n’est pas magie, mais advient par l’échange continu d’atomes. Et ainsi de l’attraction par succion, telle celle de l’eau ou du vin par le moyen d’un siphon, de l’attraction de l’aimant sur le fer, ou de l’attraction par filtration, comme quand on met une languette de coton dans une terrine remplie d’eau, en laissant pendre par-dessus le bord de la terrine une bonne partie de la languette et on voit l’eau monter par-dessus le bord et dégoutter sur la terre. Et la dernière attraction est celle qui se fait par le feu, lequel attire l’air ambiant avec tous les corpuscules qui y tourbillonnent : le feu agissant selon sa nature emporte avec soi l’air qui lui est adjoint comme l’eau
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