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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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et les esprits du vitriol incorporé avec le sang n’ont pu manquer d’accomplir le même parcours. D’autre part, la blessure continuait d’exhaler une grande abondance d’esprits chauds et ignés, attirant de ce fait l’air environnant. Cet air attirait d’autre air et cet autre d’autre encore et les esprits du sang et du vitriol, répandus bien loin, à la fin se joignaient avec cet air, qui portait avec soi d’autres atomes du même sang. Or donc, comme les atomes du sang, ceux provenant du linge et ceux provenant de la plaie se rencontraient, chassant l’air tel un inutile compagnon de chemin, et étaient attirés à leur demeure primitive, la blessure, les esprits vitrioliques, s’étant unis à eux, pénétraient dans la chair.
    — Mais vous n’auriez pu mettre directement le vitriol sur la plaie ?
    — J’aurais pu, en ayant le blessé sous la main. Mais si le blessé était loin ? Ajoutons que si j’avais mis directement le vitriol sur la plaie, sa force corrosive l’aurait irritée davantage, alors que emporté par l’air il donne seulement sa partie douce et balsamique, capable d’étancher le sang, et elle est aussi utilisée dans les collyres pour les yeux, et Roberto avait tendu l’oreille, faisant trésor de ces conseils pour le futur, ce qui explique certainement l’aggravation de son mal.
    — D’autre part, avait ajouté d’Igby, il ne faut surtout pas user du vitriol normal comme on en usait un temps, en faisant plus de mal que de bien. Moi je me procure du vitriol de Chypre, et d’abord je le calcine au soleil : la calcination lui ôte l’humidité superflue, comme qui ferait cuire un bouillon clair jusqu’à ce qu’il devienne mitonné ; et ensuite la calcination rend les esprits de cette substance disposés à être emportés dans l’air. Enfin, j’y ajoute de la gomme adragante qui cicatrise plus rapidement la blessure.

    Je me suis attardé sur ce que Roberto avait appris de d’Igby car cette découverte devait marquer son destin.
    Il faut pourtant dire, à la honte de notre ami, et il le confesse dans ses lettres, qu’il ne fut pas captivé par une telle révélation pour des considérations de science naturelle, mais toujours et encore par amour. En d’autres termes, cette description d’un univers rempli d’esprits qui s’unissaient selon leur affinité lui sembla une allégorie de qui s’énamoure, et il se mit à fréquenter des cabinets de lecture, cherchant tout ce qu’il pouvait trouver sur l’onguent armaire, littérature qui, à cette époque, était déjà foisonnante et le serait encore davantage au cours des années suivantes. Conseillé par monseigneur Gaffarel (à mi-voix, afin que n’entendissent pas les autres habitués des Dupuy, qui croyaient peu en ces choses) il lisait l’Ars Magnesia de Kircher, le Tractatus de magnetica vulnerum curatione de Goclenius, Fracastor, le Discursus de unguento armario de Fludd, et l’ Hopolochrisma spongus de Foster. Il se faisait savant pour traduire sa science en poésie et pouvoir un jour briller d’éloquence, messager de la sympathie universelle, là où il était continuellement humilié par l’éloquence des autres.
    Durant de nombreux mois – tel a dû être le long temps de sa recherche obstinée, alors qu’il n’avançait pas d’un millimètre sur le chemin de sa conquête – Roberto avait pratiqué une sorte de principe de la double, et même de la multiple vérité, idée qu’à Paris beaucoup tenaient pour téméraire et prudente à la fois. Il discutait le jour sur la possible éternité de la matière, et la nuit il s’usait les yeux sur des petits traités qui lui promettaient – fut-ce en termes de philosophie naturelle – d’occultes miracles.

    Dans les grandes entreprises, on doit chercher non tant de créer les occasions que de profiter de celles qui se présentent. Un soir, chez Arthénice, après une dissertation animée sur l’Astrée, L’Hôtesse avait incité l’assistance à considérer ce que l’amour et l’amitié avaient en commun. Roberto avait alors pris la parole, observant que le principe de l’amour, soit entre amis soit entre amants, n’était pas différent de celui par lequel agissait la Poudre de Sympathie. Au premier signe d’intérêt, il avait répété les récits de d’Igby, n’excluant que l’histoire de la sainte urinante, ensuite il s’était mis à disserter sur le thème, oubliant l’amitié et parlant seulement

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