Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
Vom Netzwerk:
mouvement physique, pas différemment de la façon dont fleurit le vin ; mais point ne nous dites pourquoi donc l’amour, à la différence d’autres phénomènes de la matière, est vertu élective, qui choisit. Pour quelle raison l’amour nous fait donc esclave de l’une et pas de l’autre créature ?
    — C’est justement pour cela que j’ai reconduit les vertus de l’amour au principe même de la Poudre de Sympathie, c’est-à-dire que des atomes égaux et de pareille forme attirent des atomes égaux ! Si je mouillais avec cette poudre l’arme qui a blessé Pylade, je ne guérirais pas la blessure d’Oreste. Donc l’amour unit seulement deux êtres qui en quelque manière avaient déjà la même nature, un esprit noble à un esprit aussi noble et un esprit vulgaire à un esprit aussi vulgaire, puisqu’il arrive qu’aiment aussi les manants, comme les pastourelles, et l’admirable histoire de monsieur d’Urfé nous l’apprend. L’amour révèle un accord entre deux créatures, qui était déjà dessiné depuis le commencement des temps, de même que le Destin avait depuis toujours décidé que Pyrame et Thisbé seraient unis en un unique mûrier.
    — Et l’amour malheureux ?
    — Je ne crois pas qu’il existe vraiment un amour malheureux. Il n’y a que des amours qui n’ont pas encore atteint leur parfaite maturité, où pour quelque raison l’aimée n’a pas recueilli le message qui lui vient des yeux de l’amant. Cependant l’amant sait à tel point quelle ressemblance de nature lui a été révélée que, par la force de cette foi, il sait attendre, fut-ce toute la vie. Il sait que la révélation pour l’un et l’autre, et leur réunion, pourra se réaliser même après la mort, quand, une fois évaporés les atomes de chacun des deux corps qui se défont dans la terre, ils se rejoindront dans quelque ciel. Et peut-être, comme un blessé, même sans savoir que quelqu’un répand la Poudre sur l’arme qui l’a frappé, jouit d’une nouvelle santé, Dieu sait combien de cœurs aimants or jouissent d’un soulas soudain de l’esprit, sans savoir que leur bonheur est œuvre du cœur aimé, devenu amant à son tour, lequel a donné l’élan à la réunion des atomes jumeaux.
    Je dois dire que toute cette complexe allégorie tenait jusqu’à un certain point, et sans doute la Machine Aristotélienne du père Emanuele en eût montré l’instabilité. Mais ce soir-là tous restèrent convaincus de cette parenté entre la Poudre, qui guérit d’un mal, et l’amour, qui outre guérir fait plus souvent mal.
    Ce fut pour cela que l’histoire de ces propos sur la Poudre de Sympathie et sur la Sympathie d’Amour firent durant quelques mois et peut-être davantage le tour de Paris, avec les résultats que nous dirons.
    Et ce fut pour cela que Lilia, au terme du discours, sourit encore à Roberto. C’était un sourire complimenteur, au plus admiratif, mais rien n’est plus naturel que de croire être aimé. Roberto entendit ce sourire comme un acquiescement pour toutes les lettres qu’il avait envoyées. Trop habitué aux tourments de l’absence, il abandonna la séance, satisfait de cette victoire. Mal lui en prit, et nous en verrons par la suite la raison. Dès lors, il osa certes adresser la parole à Lilia, mais toujours il en eut en réponse des comportements opposés. Parfois elle susurrait : « juste comme l’on disait voilà quelques jours ». Parfois au contraire elle murmurait : « cependant vous aviez dit une chose fort différente ». Parfois encore elle promettait, tout en s’éclipsant : « mais nous en reparlerons, ayez de la constance. »
    Roberto ne comprenait pas si, par inattention, elle lui attribuait tour à tour les dits et les faits d’un autre, ou bien le provoquait avec coquetterie.

    Ce qui devait lui arriver le pousserait à composer ces rares épisodes d’une histoire combien plus inquiétante.

17.
    La tant Désirée Science des Longitudes
    C’était – enfin une date à quoi nous accrocher – le soir du 2 décembre de l’année 1642. Ils sortaient d’un théâtre où Roberto avait paru au milieu du public en grande tenue de soupirant. Lilia lui avait furtivement serré la main en susurant : « Monsieur de la Grive, vous êtes donc devenu timide. Vous ne l’étiez pas l’autre soir. Et alors, demain de nouveau, sur la même scène. »
    Il s’était retiré, troublé à la folie, invité à pareille entrevue dans un lieu

Weitere Kostenlose Bücher