L'Impératrice indomptée
monde extérieur. Raide et muet, François-Joseph assiste à l’entrée de l’impératrice défunte. On voit qu’il se maîtrise avec peine. Ce veuf est entouré d’un cercle de solitude : car le prince Léopold de Bavière, le grand-duc Salvator, les filles d’Élisabeth, Gisèle et Marie-Valérie, se tiennent à distance respectueuse du souverain.
Quand les serviteurs montent les marches de l’autel avec leur triste fardeau, François-Joseph s’avance au-devant d’eux. Impassible et les mains jointes, il accompagne le cercueil... Ses filles s’agenouillent sur leur prie-Dieu. Le grand maître de la cour, le prince Liechtenstein, remet ensuite à l’empereur les clefs du cercueil. François-Joseph tombe à genoux et, des deux bras, il entoure ce cercueil comme on embrasse un corps bien-aimé. En se relevant, il aperçoit parmi les assistants la comtesse Sztaray. Allant à elle, il lui demande : « A-t-elle beaucoup souffert ? » La comtesse est si émue qu’elle s’affaisse, défaillante, et que l’empereur doit la soutenir. Le cercueil demeure exposé deux jours dans la chapelle impériale. Celle-ci n’est pas assez vaste pour permettre un grand déploiement de pompe funèbre. Les murs sont tendus de noir ; comme seul ornement ils portent les armes de l’impératrice et l’inscription : « Elisabetha Imperatrix Austriae – Regina Hungariae ». Au milieu, sur un catafalque, trône le cercueil de chêne.
Le septième jour qui suit la mort de l’impératrice, le cercueil est placé sur un char funèbre. Le corbillard de la maison des Habsbourg a transporté, depuis un siècle, trois empereurs et six impératrices de la Hofburgkapelle, à la crypte du couvent des Capucins. Dans l’église attenante, quatre-vingts évêques attendent, rangés devant l’autel. François-Joseph pénètre dans le saint lieu par la porte du réfectoire, puis apparaissent les filles d’Élisabeth. Quand le prince-archevêque élève la voix pour donner la dernière bénédiction, les chanteurs entonnent : « Au jour terrible où le ciel et la terre trembleront, où vous reviendrez pour juger les vivants et les morts, délivrez-moi, Seigneur, de la mort éternelle ! »
La sonnerie des cloches et le sourd battement des tambours se sont tus : un silence absolu règne dans l’église. Le grand maître de la cour s’approche de l’empereur et, s’inclinant profondément, l’informe que l’on va procéder au dernier acte de la cérémonie : le cercueil d’Élisabeth va être descendu dans la crypte, lieu de son dernier repos. « On entendait résonner les pas des porteurs sur les degrés de pierre, écrit un témoin. Puis, ayant déposé leur fardeau, ils quittèrent le caveau funéraire. Seuls y demeurèrent l’empereur, le cardinal Gruscha et le supérieur du couvent. À genoux, dans la muette obscurité de la crypte, François-Joseph adressa à Élisabeth son dernier adieu. »
La défunte impératrice eut à subir la pompe des obsèques Habsbourg, mais seulement en partie. Certes, le testament d’Élisabeth, rédigé deux ans avant sa mort, renfermait, entre autres, le voeu d’être ensevelie très simplement et sans faste. Mais la cour ne pouvait y accéder sans rompre avec une étiquette très ancienne. On s’efforça d’en atténuer la rigueur. Ainsi, la règle voulait qu’on ne déposât au cloître des Capucins qu’une partie du corps des Habsbourg défunts : le coeur devait reposer à l’église des Augustins, les autres viscères dans la cathédrale Saint-Étienne. Élisabeth échappa à cette sinistre règle. Son voeu d’être enterrée à Corfou ne fut néanmoins pas exaucé, car la même étiquette inflexible désigne le lieu de son éternel repos : dans le caveau sinistre et froid des Habsbourg.
Dix-huit ans plus tard, le 21 novembre 1916, en pleine guerre mondiale, François-Joseph, à quatre-vingt-six ans, mourut à son tour. Il avait régné pendant soixante-huit ans, ce qui fut un des plus longs règnes de l’Histoire. Il laisse un trône en sursis et un empire en déconfiture. Le 25 novembre, le cercueil est amené devant la crypte de l’église des Capucins, escorté de cent gardes montant des chevaux blancs et de cent gardes sur des chevaux noirs. Selon le rite de la Maison de Habsbourg, un héraut d’armes se présente devant la porte verrouillée ; il heurte.
— Qui va là ? questionne, de l’intérieur, le Père des Capucins.
— Sa Majesté
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