L'Impératrice indomptée
a été si violent que l’arme a pénétré à huit centimètres et demi de profondeur, brisant la quatrième côte, perforant le poumon et le péricarde, transperçant le coeur de haut en bas, pour ressortir à la partie inférieure du ventricule. L’arme étant extraordinairement acérée, l’hémorragie a été réduite ; le sang a coulé goutte à goutte dans le péricarde : c’est ce qui a permis à l’impératrice de marcher encore un moment avec le coeur percé... L’engorgement, causé par l’afflux du sang, a précipité la fin. À la demande du procureur général, le docteur Golay photographie la blessure. L’instrument qui a servi au crime, retrouvé par un concierge dans la rue des Alpes, est une simple lime triangulaire munie d’un manche de bois ; la lame a dix centimètres de longueur.
Qui est donc le meurtrier 1 de Sissi ? Dans sa fuite, l’assassin est repéré par des passants, et bientôt appréhendé par l’un d’eux. Les policiers accourus sur les lieux croient au délit banal d’un voyou, jusqu’à ce qu’un coup de téléphone leur apprenne que celui qu’ils détiennent a fait périr l’impératrice d’Autriche, reine de Hongrie. Son nom ? Luigi Luccheni. Le coupable semble satisfait de son forfait et chantonne ! Le juge d’instruction chargé de l’affaire songe qu’il s’agit non pas d’un acte isolé, mais d’un complot. Il tente d’en trouver les complices en amadouant le prévenu par des gâteries (dont des cigares) qui font hurler au scandale un journal suisse. En automne, Luccheni est renvoyé devant la Cour de justice criminelle, où il paraît tout souriant, désinvolte, insolent. Il ne regrette rien : il a « vengé sa vie ». Aucune indulgence ne peut être envisagée par le procureur général pour un acte suscité par la haine. Condamné à la réclusion perpétuelle, l’assassin, après avoir crié : « Vive l’anarchie ! » à l’issue du verdict, se montrera d’abord discipliné et respectueux. Au bout de cinq ans de détention, il commence la rédaction de sa biographie, sur cinq cahiers fournis par l’administration pénitentiaire. Il en orne avec soin la couverture en calligraphiant le titre : Histoire d’un enfant abandonné à la fin du XIX e siècle, racontée par lui-même . Ses souvenirs d’enfance, il les achèvera en 1909 ; cette même année, il se suicide en prison en se pendant avec sa ceinture de cuir.
Dans le salon d’angle de l’hôtel Beau-Rivage, l’impératrice repose en paix. Elle est parée de cette toilette de soie noire qu’elle appelait sa « belle robe ». Le visage et les mains sont d’une blancheur d’albâtre ; elle semble encore plus grande ; ses formes ont toujours cette merveilleuse sveltesse qui la distinguait dans ses jeunes années. Le corps est recouvert d’un voile de dentelle sur lequel on a brodé les mots : « Repose en paix ». Auprès d’elle, deux prêtres demeurent en prière. À la tête du lit se dresse un immense crucifix blanc. Le corps a été placé dans trois cercueils différents ; celui de l’extérieur, en bois de chêne avec ornements de bronze reposant sur des griffes de lion, contient les deux autres, qui sont en plomb. Depuis midi, résonnent les accents sourds et profonds de la « Clémence », la grande cloche de Genève. Elle accompagne l’honneur rendu à la morte par le Conseil fédéral suisse. À Genève, personne, ce jour-là, ne travaille. Les magasins ont clos leurs portes. Sur le lac pas un bateau, pas un canot ne sillonne la surface des eaux. Avant la soudure de la bière se déroule la cérémonie protocolaire consistant à s’assurer de l’identité du cadavre. On a pratiqué, dans chaque bière, des ouvertures vitrées auxquelles correspondent, dans le couvercle, des panneaux mobiles permettant de voir la morte. Les porteurs déposent le cercueil dans le corbillard attelé de huit chevaux noirs.
Le 15 septembre, à dix heures du soir, le train portant la dépouille mortelle de l’impératrice entre en gare de Vienne. La morte est déposée dans la sombre chapelle de la Hofburg. Quatre couronnes recouvrent le sarcophage d’Élisabeth : la couronne impériale de Marie-Thérèse, la couronne de la reine de Hongrie, la couronne de l’archiduchesse d’Autriche et la couronne de princesse ; tout à côté, sur un coussin, ses insignes personnels : une paire de gants blancs et l’éventail qui fut sa dernière protection contre le
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