L'Impératrice indomptée
Habsbourg, qui a été arboré, est baissé quand on annonce que l’impératrice vient incognito sous le nom de « Mrs. Nicholson ». Les trois femmes déjeunent seules. Dans un salon lointain, un orchestre d’instruments à cordes joue du Wagner en l’honneur d’Élisabeth. Elle est exceptionnellement gaie. Elle loue la musique et les mets, demande même que l’on envoie le menu à l’empereur pour lui permettre de le montrer à « Cathy », qu’elle sait connaisseuse de bonne cuisine. Les coupes de champagne tintent joyeusement. La baronne de Rothschild se félicite du succès de sa réception.
Puis, c’est la visite des serres de Pregny. Elles sont célèbres à juste titre et singulières à plus d’un égard car les plantes y sont regroupées par pays ou zones géographiques, si bien que l’effet en est magique. L’impératrice se déclare très impressionnée devant tant de merveilles, et son enthousiasme atteint le ravissement lorsqu’elle contemple les orchidées. Fascinée, elle reste en arrêt devant une multitude de fleurs blanches et, par la suite, revient plusieurs fois sur ses pas pour les considérer en silence, le regard interrogateur, comme si elle avait fait là une expérience merveilleuse et comptait sur ces plantes pour lui en donner l’explication. Le 10 septembre, malgré une mauvaise nuit, elle est encore de bonne humeur. Elle confie à sa dame d’honneur : « Je ne me sens pas fatiguée, et pourtant j’ai à peine fermé l’oeil. Pendant un moment, j’ai écouté les chanteurs italiens, plus tard la tour illuminée m’a dérangée avec ses couleurs qui changeaient constamment, mais je n’arrivais pas à me décider à me lever pour fermer la fenêtre. Il devait bien être deux heures quand je me suis endormie, et puis – ce qui ne m’était encore jamais arrivé –, je me suis réveillée en sursaut, terrorisée, parce que le clair de lune éclairait mon visage pendant que mon lit et toute la chambre baignaient dans une lumière mystique. Je n’avais plus du tout envie de dormir. »
En fixant le programme de sa journée, Élisabeth décide de prendre le bateau de 13 h 40 pour retourner à Caux. Il est onze heures et elle a une course impérative à faire. Elle se rend chez Bäcker, le fabricant d’instruments de musique de la rue Bonivard, acheter un orchestrion pour ses petits-enfants, les enfants de sa fille Marie-Valérie. Elle se dirige d’un pas alerte vers la boutique et entre. Comme un enfant heureux, elle essaie beaucoup de rouleaux. Elle écoute de nombreux airs, des morceaux de Wagner ! Ah, il n’y a rien de plus beau que la musique wagnérienne ! « Le meilleur instrument du magasin, monsieur Bäcker, avec vingt-quatre rouleaux, je vous prie. C’est pour les enfants ! » Avec un aimable sourire, elle quitte la boutique et va rejoindre la comtesse Sztaray qui l’attend. Puis, elles se promènent sur la rive du lac. Des pigeons se rengorgent, perchés sur un mur.
— Quel malheur que nous n’ayons pas de miettes pour eux, dit-elle avec regret.
— Votre Majesté, nous ferions bien de nous presser, il se fait tard !
De son parapluie, Élisabeth désigne des arbres.
— Regardez, Irma ! dit-elle avec entrain. Les marronniers sont en fleur. Il y en a aussi à Schönbrunn qui fleurissent deux fois l’an. Franz m’écrit qu’ils sont couverts de fleurs à présent !
« Nous nous promenâmes ensuite très lentement sur le quai du Mont-Blanc. Sa Majesté flânait au soleil avec délectation, goûtait l’animation colorée des rues. Quant à moi, je finis par m’inquiéter de l’heure et lui fis remarquer qu’il était temps de retourner à l’hôtel de façon à nous préparer au départ », se souvient la comtesse Sztaray.
Bientôt, les sirènes du bateau les pressent de se mettre en route. Sur le quai, Irma remarque à une certaine distance un homme qui, tel un fuyard pourchassé, se cache d’un arbre à l’autre en bondissant, enjambe le garde-fou en fer qui borde le quai, gagne un autre arbre et se rapproche ainsi d’elles, progressant en zigzag sur le trottoir. « En voilà un qui va encore nous retarder ! » pense-t-elle instinctivement en le suivant des yeux. Il atteint une nouvelle fois le garde-fou et, de là, fonce droit sur elles. Machinalement, Irma avance d’un pas pour protéger Élisabeth, mais voici que l’homme semble faire un faux pas, avance encore. Soudain son poing jaillit vers l’impératrice.
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