L’impératrice lève le masque
disparu. Elle avait respiré profondément, en haletant, et elle s’était mise à pleurer au moment où François-Joseph était monté à bord, l’avait prise dans ses bras et embrassée en public.
En ce moment, Sissi se sent comme ce jour-là : c’est le même état de complète léthargie. Assise sur sa chaise, elle tient entre ses doigts blancs le petit sac dans lequel manque le laissez-passer. Elle se demande pourquoi tous les regards ne sont pas dirigés vers elle alors que son cœur bat si fort qu’on devrait l’entendre jusque sur la place. Mais à nouveau, la boule disparaît – comme sur le bateau. Son pouls sursaute encore deux fois, puis redevient régulier – même s’il continue d’être très rapide, beaucoup trop rapide. En même temps, elle se demande s’il est vraiment souhaitable que son cœur continue de battre. Pendant un court instant, elle rêve de s’effondrer sur la table – débarrassée de tous ses soucis.
Mlle Wastl et Ennemoser ont sorti leurs permissions, que le sergent leur a rendues après y avoir jeté un bref coup d’œil. Il se tient maintenant juste devant elle et lui sourit avec gentillesse tandis que ses hommes s’apprêtent à sortir. Sissi a déjà passé en revue plusieurs fois son sac à main – une simple bourse fermée par un cordon et doublée de lin jaunâtre – et elle se met à poser un à un sur la table les objets qu’il contient : un mouchoir, un poudrier, un miroir, un éventail en satin noir et une paire de gants, des articles de médiocre qualité qui appartiennent à Mlle Wastl. Comme tout le monde peut le constater, elle n’a pas de permission sur elle.
Alors elle retourne son sac à main et le secoue au-dessus de la table – en vain. Elle le renverse – avec toujours aussi peu de succès. Il n’y a rien non plus sur le sol ni dans les deux poches de sa robe qu’elle fouille de manière fébrile. Pour finir, elle se met à pleurer. Tout d’abord parce qu’elle en a envie, et d’un autre côté, parce que cela ne peut pas faire de mal de verser quelques larmes quand on est une femme en difficulté. Ensuite, elle se mouche, ferme les yeux aussi fort que possible et attend un miracle.
Quand elle rouvre les paupières, le miracle se tient devant elle. Il porte un uniforme des chasseurs croates, n’est pas très grand et a des incisives qui font penser à des touches de piano. Le miracle prend position dès qu’il sent posé sur lui le regard d’Élisabeth. Il claque des talons et salue. Puis il jette au sergent Semmelweis un coup d’œil assassin, met la main dans sa poche et en sort un mouchoir d’une blancheur virginale.
— Si Son Excellence veut bien me permettre ?
Il sourit et plisse ses petits yeux de souris. Elle voit ainsi que c’est toute sa dentition qui ressemble à un clavier. Elle prend alors le mouchoir et s’en tamponne les yeux.
— Je ne croyais pas que je vous reverrais si vite, lieutenant.
Elle émet un petit rire gêné. Les boules de ouate ont quelque peu glissé, mais elle parvient sans mal à les remettre en place du bout de la langue.
— Vous avez eu des problèmes avec l’un de mes hommes ? l’interroge-t-il.
Elle secoue la tête et adresse un regard bienveillant au sergent qui observe la scène bouche bée.
— Je crains que ce soit moi qui pose problème à l’un de vos hommes…
À nouveau, elle fait entendre un petit rire gêné.
— Comment cela ? s’étonne-t-il en fronçant les sourcils.
— Il semble que j’ai oublié mon laissez-passer.
C’est même sûr, et puisqu’il en est ainsi, les larmes lui montent à nouveau aux yeux. Elle ne fait pas le moindre effort pour les retenir.
— Je croyais déjà que j’allais être emmenée comme ce… (elle fait une grimace désespérée) … comme ces personnes de la table d’à côté.
— Le couple de la table voisine a importuné Son Excellence ?
— Pas du tout, mais que va-t-il leur arriver ?
Kovac hausse les épaules.
— Nous les retenons à la Scuola dei Varotari jusqu’à ce que nous ayons établi leur identité.
— Et qu’allez-vous faire de moi ?
— Que veut dire Son Excellence ?
— Vous allez m’incarcérer, moi aussi ?
Élisabeth adresse au sous-lieutenant un regard charmeur. Il répond par un sourire flatté.
— J’ai l’honneur de connaître Son Excellence. Il n’y a aucune raison qu’on l’arrête.
— Je peux donc rentrer ?
Il s’incline.
— Mais bien entendu.
Une demi-heure plus tard,
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