Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
Vom Netzwerk:
but une gorgée de grappa et dit en s’efforçant de donner à sa voix un ton martial :
    — Je veux parler à votre supérieur.
    Semmelweis sourit. Il avait une recette pour les impertinents dans son genre, à savoir : pas de discussion ! Il n’eut pas besoin de donner d’ordre aux deux soldats qui s’étaient avancés derrière l’interpellé. Ils savaient ce qu’ils avaient à faire dès qu’il leur désigna le récalcitrant de la pointe du menton. Ils se placèrent des deux côtés de sa chaise et le soulevèrent comme une marionnette.
    Bien sûr, l’individu se débattit comme un beau diable et jura comme un charretier – du moins jusqu’au moment où un troisième soldat eut sorti de sa poche un revolver à tambour comme ceux qu’utilisent les officiers de l’armée autrichienne. Il était chargé. Le sergent le prit, enleva les cartouches et le posa sur la table. Pendant un instant, il eut l’impression que toute l’assistance fixait l’arme à feu posée à côté de la bouteille de grappa.
    — Emmenez-le ! ordonna Semmelweis d’un ton sec.
    À ce moment-là, il pâlit, mais cela lui arrivait aussi à Vienne quand il était confronté à des cas difficiles.
    — Et la femme ? demanda l’un des soldats.
    La petite souris avait bondi de sa chaise. Elle avait les larmes aux yeux. Le sergent dit :
    — Emmenez-la aussi !
    Il vit les soldats confier le couple aux hommes chargés de conduire les prisonniers au point de rassemblement. Il jubila, satisfait de la tournure des événements.
    À la table voisine – la dernière –, un homme tenait compagnie à deux femmes. À en juger par sa coiffure, songea Semmelweis, il pourrait bien faire partie de l’armée – quelqu’un qui aurait le droit de se promener en civil, car sinon il ne resterait pas aussi calme. L’une des deux femmes avait l’air d’une domestique qui a son jour de congé, peut-être une femme de chambre. L’autre, une grande femme mince aux yeux marron écarquillés par la peur, dont le visage faisait penser à un hamster, pouvait être une dame de compagnie ou une gouvernante. Dans le civil, Semmelweis avait développé un sens aigu des différences sociales. Jamais il n’aurait confondu une gouvernante avec une cuisinière ou une femme de chambre. Il porta la main à sa casquette :
    — Vos papiers, je vous prie.
    Il souriait d’un air poli, comme pour s’excuser du numéro qui venait de se produire à la table voisine, ce qui était bien entendu stupide puisqu’il n’avait fait que son devoir. Mais pendant les razzias, il avait l’impression d’être à nouveau contrôleur de la Société des Voitures à cheval de Vienne, comme avant son incorporation trois ans auparavant.

33
    La table sur laquelle Ennemoser avait jeté son dévolu, contre le mur de droite, était parfaite pour s’entretenir tout en gardant un œil sur le reste de l’auberge. Mais quant à s’éclipser discrètement au cours d’une razzia, il n’aurait pas pu choisir plus mal. Pour accéder à la porte de derrière, Sissi devrait traverser la salle, ce qui serait de toute façon absurde puisqu’il est évident qu’une sentinelle y est postée. En plus, il est trop tard. Le sergent qui a donné l’ordre d’emmener les Königsegg se tient devant eux et demande à voir leurs papiers.
    Pendant quelques secondes, Élisabeth est en proie à une panique sans bornes qui lui interdit toute réaction et l’empêche de réfléchir. C’est presque un miracle qu’elle parvienne encore à respirer.
    Il lui revient à l’esprit qu’elle n’a connu qu’une seule fois dans sa vie pareille situation. C’était le 23 avril 1854, le jour où son bateau de noces est arrivé à Nussdorf et où elle a compris, en voyant la foule immense, ce que cela signifiait d’être impératrice d’Autriche. Son futur époux l’attendait sur le débarcadère en compagnie des plus hauts dignitaires de l’État et de milliers de curieux. Elle avait essayé d’inspirer quelques bouffées du doux air printanier qui l’enveloppait encore l’instant d’auparavant et qui semblait soudain manquer. Elle percevait les cris des spectateurs, les salves d’honneur des chasseurs de Linz et les chœurs d’enfants comme s’ils étaient très loin. La seule chose qu’elle arrivait à penser était : « Je meurs. Je suis à moins de cinq lieues de Vienne, mais je ne verrai jamais la capitale parce que je serai morte avant d’y arriver. » Puis le nœud dans sa gorge avait

Weitere Kostenlose Bücher