L'inconnu de l'Élysée
juillet 1944 à l'âge de 23 ans : « Je trahirai demain, pas aujourd'hui / Aujourd'hui arrachez-moi les ongles / Je ne trahirai pas / Vous ne savez pas le bout de mon courage / Moi je sais. » Ou celui d'André Chennevière, abattu à Paris le 20 mai 1944 : « Ville souillée et comme morte / Où le martèlement des bottes / Écorche les trottoirs et le silence. » Ou encore celui de Micheline Maurel, déportée : « Et ces femmes vous crient ce qu'il vous a crié : Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonnée ?… »
Avant de me remettre son livre de souvenirs, Nous étions de passage 2 , dans lequel elle a soigneusement glissé un signet au début du récit qu'elle fait de la relation entre Pierre Seghers et Jacques Chirac, elle tient à me rapporter une anecdote qui n'y figure pas, comme pour relever encore davantage l'intérêt des pages que je m'apprête à lire. À la demande de Roger Combrisson, maire communiste de Corbeil-Essonnes, Colette Seghers avait accepté de préparer, à la Maison des Jeunes et de la Culture, une exposition consacrée à son mari. Par courtoisie, elle avait estimé devoir informer le maire de Paris de son acceptation. Dès réception de ce petit mot, Jacques Chirac l'avait appelée : « Pour la première fois, son ton était glacial : “Pourquoi avez-vous estimé que vous deviez m'informer de cette collaboration avec le maire communiste de Corbeil-Essonnes ? Je veux que vous sachiez que vous êtes libre. Je serai un des premiers à visiter cette exposition. Il y a toutefois un petit mais… Je ne serais pas content si, à l'inauguration, vous montiez sur une table et criiez : À bas Chirac !…” Il est effectivement venu à l'inauguration et tout s'est bien passé… »
Pour montrer la passion de Chirac pour la poésie chinoise et la connaissance qu'il en a, Colette Seghers raconte une autre anecdote survenue à la fin du spectacle qu'elle avait organisé au Théâtre de la Ville, intitulé L'Âme de la Chine . « Pourquoi n'avez-vous pas mis en scène un poème de Li Pô ?… », lui demanda celui qui était encore maire de Paris.
Je suis maintenant prêt à lire les pages que Colette Seghers a consacrées à l'amitié entre Jacques et son Pierre 3 .
« Dans quelle nouvelle aventure venons-nous de nous embarquer ? Ni Pierre ni moi ne pouvons alors supposer qu'elle nous engage aussi loin. Au premier regard, on n'y voit qu'une partie de plaisir. Jacques Chirac – alors maire de Paris – a proposé à Pierre de lui confier un festival annuel de poésie : “Si tu le fais en coéquipière avec moi, j'accepte”, me dit-il. Pouvoir conduire la poésie jusqu'à la scène du Châtelet, du Théâtre de la Ville, qui résisterait à pareille tentation ?
« La rencontre de ces deux hommes sera celle de deux dynamismes. Ils ont le même tempérament, ils foncent, et très vite ils s'apprécient. Pierre découvre dans le maire de Paris un homme dont la connaissance de la poésie est infiniment plus grande qu'il ne l'admet.
« Faut-il préciser que jamais – pas une seule fois – ni Jacques Chirac ni les services des Affaires culturelles de la Ville n'interviendront dans le fonctionnement ou les choix de la Maison de la Poésie, pas plus que dans ceux de la revue… ? L'indépendance de l'une et de l'autre est absolue. Et pas une seule fois non plus la question de l'indépendance politique de Pierre ne fut posée. Chacun connaissant les opinions de l'autre, pourquoi en aurait-il été autrement ? On a dit – on a dit… – que certains membres du RPR avaient fait savoir au maire que les Seghers ne possédaient pas la carte du parti. Le maire en aurait ri : “Je ne demande pas à mes amis de porter un badge !”
« La revue s'est installée boulevard Raspail. Que rêver de mieux ? […] Les poètes ont retrouvé le chemin du bureau de Pierre et celui de la revue. Les jeunes obtiennent des rendez-vous, on les voit repartir, des livres sous le bras, épatés par ce type sympa, au rire si chaleureux. Quant à son regard… Les a-t-on déjà regardés si attentivement ? Sur eux il voit sa propre jeunesse […]
« Vers la fin d'octobre 1987, la dépouille mortelle de René Cassin fut conduite au Panthéon. La France rendait un dernier hommage au Commissaire national à la justice du Comité de Londres, en 1940, au président de la Cour européenne des droits de l'homme, au prix Nobel de la paix 1968.
« Jacques Chirac nous téléphona la veille au
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