L'inconnu de l'Élysée
mari et par elle, fille d'un « coco mort à Auschwitz » qui avait lui aussi une « haute idée de ce qu'il fallait faire ». La veuve du grand résistant – c'est lui qui assura en 1945 la direction de l'insurrection parisienne – précise que Chirac, « homme très fidèle en amitié », avec une très grande gentillesse lui téléphone régulièrement, tout comme il téléphonait à son mari jusqu'à sa mort. « Dans les heures qui ont suivi les débuts de sa maladie, il a pris de ses nouvelles et n'a pas cessé jusqu'à la fin. »
Robert Chambeiron 5 n'a pas davantage de réticences à parler de la nature de ses liens avec le président de la République : « Jacques Chirac est très fidèle à la Résistance, cette page si importante de notre histoire. Je l'ai rencontré en 1994 quand il était encore maire de Paris. Il nous avait demandé, au colonel Rol-Tanguy et à moi, de participer à un petit cercle pour préparer les cérémonies du cinquantième anniversaire de la Libération de Paris. Nos relations se sont poursuivies depuis lors, le président sachant parfaitement qui je suis et quelles sont mes options. Je retiens de lui des gestes significatifs à l'égard de la Résistance. J'ai beaucoup apprécié que, lors du dernier défilé du 14 Juillet, il ait eu l'idée d'associer le Chant des partisans à La Marseillaise . Je lui ai téléphoné pour lui dire que c'était sensationnel, que ça avait une gueule extraordinaire. Jacques Chirac est très antifasciste. Il aime à entendre parler de la guerre d'Espagne, du rôle de Pierre Cot, de Jean Moulin… C'est un passé qu'il apprécie particulièrement et qu'il connaît bien. Je le vois assez souvent. Nous avons des discussions sur la Résistance. Par exemple, sur la signification du 18 juin 1940 par rapport au 27 mai 1943, date de la première réunion du Conseil national de la Résistance. Il n'est absolument pas léger sur ces sujets. Je me souviens d'un jour où il m'a demandé s'il pouvait prendre des notes… Il n'est absolument pas gêné de se retrouver avec des gens qui ne partagent pas ses idées, je dirais même : au contraire. C'était l'esprit de la Résistance de réunir ainsi des gens très différents… »
1 Aujourd'hui décédé.
2 Daté du 24 novembre 1976.
3 Entretien avec l'auteur le 25 juillet 2006.
4 La phrase exacte est : « Et je tiens à saluer aujourd'hui Mme Rol-Tanguy, l'épouse du colonel Rol-Tanguy, compagnon de la Libération, qui fut l'un de ces grands héros de la lutte pour la démocratie… »
5 Entretien avec l'auteur le 25 juillet 2006.
5.
« J'aurais aimé que vous fussiez mon fils. »
(Pierre Seghers)
Ému par le Manyoshu , Jacques Chirac aimait aussi parler poésie avec Pierre Seghers, l'éditeur des poètes, poète lui-même… Au huitième étage de cet immeuble du VI e arrondissement de Paris, dans son appartement où me reçoit Colette, sa veuve, tous les objets, tous les livres rappellent Pierre Seghers. Celle-ci me reçoit pour parler de cet « ami fidèle » que fut – qu'est toujours – Jacques Chirac : « Une affection qui nous a valu beaucoup de désagréments », mais qu'elle ne renie pas. Au contraire. Elle parle volontiers de l'amour de la poésie du président, de sa particulière connaissance des poésies russe, chinoise et japonaise.
« Contre l'occupant, l'avilissement, la mort, la poésie n'est ni refuge, ni résignation, ni sauvegarde : elle crie. » Ce cri, Pierre Seghers voulut le faire entendre en publiant en 1974 La Résistance et ses poètes . Jacques Chirac l'entendit et aimait parler avec lui de ce « temps de misères et de sang, de férocité et de colère, de contestation et d'espoir ». Son cœur avait en effet battu la chamade en lisant des phrases comme : « Juifs ou pas, communistes ou résistants de toute appartenance, individuels ou affiliés à des mouvements, l'arrestation, la prison, la déportation, la mort étaient nos risques. » Comme chez Malraux, Chirac, chez Seghers, aimait cette intime association de la poésie et de l'action. Il s'était enflammé pour le récit de Malraux décrivant la « destruction, à Medellin, de la colonne franquiste, ce qui contribua à défendre Madrid pour un temps […] C'est le courage physique et c'est la fraternité comme réponse aux vertiges de l'absurde 1 » ; il s'enflamme de même en lisant les témoignages émouvants recensés par Pierre Seghers. D'une Marianne Cohn, fusillée le 8
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