L'inconnu de l'Élysée
soir afin de prendre des nouvelles de Pierre. Nous ne pouvions nier l'évidence : les résultats des examens s'affolaient, l'évolution du mal était devenue incontrôlable. Pierre, parfaitement au courant, restait vaillant, encore debout, mais de jour en jour plus douloureux et plus faible.
« “Colette, voyez avec Pierre si je peux passer après la cérémonie du Panthéon. Je tiens à venir, j'aurais certaines choses à vous dire absolument.” Il ajouta : “Si vous le permettez, nous ne devons pas remettre…”
« J'ai regardé avec Pierre, sous nos fenêtres, le défilé du convoi escorté par la Garde républicaine et ses magnifiques chevaux roux avançant si lentement, si solennellement. Un soleil, roux lui aussi, transperçait la brume. Pierre, dans un geste familier, devenu difficile, avait mis son bras autour de mes épaules. Le cœur lourd, nous regardions ensemble, pour la dernière fois, un événement. Étions-nous dans la fin d'une journée ou dans la matinée ? Ce soleil suivait-il ce convoi ou montait-il à sa rencontre ? Je suis incapable de le dire, mais il irradiait cette scène pour un dernier salut. Pierre, bouleversé, remarqua : “J'aime qu'il soit là pour cet hommage, dans cette heure triste.”
« Jacques et Bernadette Chirac nous avaient déjà rendu visite la semaine précédente, et cette amitié, qui se révélait si fidèle, nous touchait au cœur. Bernadette Chirac, arrivée de son côté, venait d'un hôpital où elle avait passé la nuit auprès de l'un des siens. Lorsqu'ils nous quittèrent, Pierre, en les embrassant, regarda Jacques Chirac bien en face : “Vous vous souviendrez, Jacques, je n'aurai jamais aimé que les hommes et les femmes qui sont vraiment des humains. Vous êtes de ceux-là.” Il ajouta : “J'aurais aimé que vous fussiez mon fils.”
« Au retour du Panthéon, Jacques Chirac arriva seul : “Pierre, je viens vous faire une proposition, à condition qu'elle vous convienne…” Ainsi avons-nous pris connaissance de sa décision. Il souhaitait me confier la direction de la revue, ainsi qu'un droit de regard sur l'ensemble des programmes de la Maison de la Poésie. Pour la première charge, en toute indépendance avec nos collaborateurs, et, pour la seconde, en association avec un conseil artistique. Comment savait-il que rien n'aurait pu émouvoir Pierre davantage ? Qu'en me proposant cette charge, il m'en donnait la force, et qu'à ceux qui m'entouraient il apportait la possibilité de “maintenir” dans la voie qu'ils aimaient ?
« Quelques jours plus tard, Jacques Chirac prononçait au cimetière Montparnasse un long discours d'adieu. J'avais été informée par son secrétariat personnel que chaque minute serait minutieusement comptée, car il devait accueillir à Paris Mikhaïl Gorbatchev. La foule des amis et des connaissances, par centaines, l'écoutaient en silence sous la pluie. »
1 Voir le discours de Jacques Chirac à l'occasion du transfert des cendres d'André Malraux au Panthéon, le 23 novembre 1996.
2 Colette Seghers, Nous étions de passage , Stock, 1999.
3 Nous étions de passage , op. cit.
6.
La Cité des origines ou le rêve inachevé de Chirac
Avec le musée du quai Branly, Jacques Chirac n'a écrit qu'une partie du message qu'il voudrait laisser aux Français. Il a rêvé de le parachever par un second musée, mais, tout président de la République qu'il est, il n'est pas parvenu à l'imposer.
Avant de commencer notre entretien du 2 septembre 2006, le chef de l'État, costume et polo gris, m'a confié quelques notes manuscrites consignées par lui le 12 décembre 2002 au Conseil européen de Copenhague. Je sens qu'il me fait là un royal cadeau : il a donc décidé de participer activement à ma tentative de mieux comprendre qui il est…
Je l'imagine farfouillant le plus discrètement possible dans son porte-documents pour en extraire les feuillets dont il a besoin pour rédiger une note qui n'a absolument rien à voir avec l'ordre du jour du Conseil européen. Il regarde si Göran Persson, le Premier ministre de Suède, président de la séance, n'a pas repéré son manège. Il lui importe peu, en revanche, que Dominique de Villepin ait compris… Il décapuchonne son stylo et commence à faire courir sa plume sur une feuille à en-tête eu2002.dk . D'une belle écriture aisément lisible, il inscrit le titre de sa note.
P rojet de M usée ( ou de C ité ) des origines présentant :
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