L'inconnu de l'Élysée
type : il vient un moment où il se passe quelque chose d'insolite. La salle est tout à fait dissipée, mais, d'un coup, on ne sait trop pourquoi, s'abat sur elle un silence intégral. Je l'ai souvent remarqué et les gens qui ont l'habitude des meetings vous le confirmeront… On était convenu d'emblée que personne ne parlerait en dehors de Malraux ; il était monté à la tribune et attendait que ça se passe, car il ne pouvait naturellement pas se faire entendre. Soudain s'est passé ce phénomène extraordinaire dont j'ai parlé, cette fraction de seconde pendant laquelle il a régné un grand silence. Malraux, génial interprète, a saisi l'instant, et, d'une voix tonnante, a lancé dans le micro : “Je vous vois bien… J'étais sur le Guadalquivir, je vous ai attendus et je ne vous ai pas vus venir…” [Chirac a pris les intonations de Malraux.] Consternation des communistes : pourquoi, on n'a pas été sur le Guadalquivir ? Dans la foulée, Malraux a prononcé son discours, il a été ensuite un peu chahuté, mais le message est passé, c'était génial ! “J'étais sur le Guadalquivir, je vous ai attendus et je ne vous ai pas vus…” Stupeur ! Chirac en rit encore et ajoute : “C'était d'un grand, très grand artiste !”
– Les phrases que, dans le discours sur Malraux, vous prononcez sur la fraternité, la lutte contre le nazisme, on sent bien que ce sont largement les vôtres. Même si vous avez lutté ensuite contre les communistes, on sent bien que vous respectez leur lutte contre le nazisme et le fascisme…
– Sans aucun doute. J'ai d'ailleurs eu beaucoup d'amis parmi les communistes, des gens comme le colonel Rol-Tanguy. Je continue à entretenir des relations avec sa femme, je lui téléphone une fois par semaine… J'entretiens également des relations suivies avec Robert Chambeiron, le compagnon de Jean Moulin. Je suis très lié avec lui aussi. Voilà des gens qui peuvent vous parler de moi… »
Chirac oublie de rappeler ici une mesure qu'il fit prendre au pas de charge après le transfert des cendres d'André Malraux au Panthéon : accorder le titre d'anciens combattants aux survivants français des Brigades internationales. Mesure hautement symbolique, prise par un président classé à droite à l'égard de Français généralement engagés à l'extrême gauche. Mesure traduisant aussi l'amitié qu'il avait nouée de longue date avec le colonel Rol-Tanguy, au parcours ancré très à gauche, puisque successivement syndicaliste communiste, commissaire politique de la 14 e brigade (la Marseillaise), créateur des FTP dans la Résistance, puis chef des FFI d'Île-de-France…
L'éloge funèbre prononcé le 12 septembre 2002 aux Invalides en l'honneur du colonel Henri Rol-Tanguy m'avait échappé. Jacques Chirac y exprimait son profond attachement à cet « homme de charisme et de rayonnement […], ce meneur d'hommes qui aimait les êtres autant que les idées ». Il y disait l'avoir rencontré souvent : « À maintes reprises, nous avons évoqué ces pages tragiques et glorieuses de notre histoire dont il fut un grand témoin. J'avais pour cet homme d'exception une profonde admiration. »
Cécile Rol-Tanguy 3 confirme cette amitié à première vue surprenante : « Mon mari avait beaucoup de sympathie pour l'homme, qui est chaleureux et amical. Jacques Chirac a été marqué par la période de la Résistance. Nous l'avons connu quand il était encore maire de Paris. Mon mari avait protesté auprès de lui sur la manière dont on parlait des FFI. Ses remarques l'ont probablement fait réfléchir. À partir de là, il s'est montré très amical, très détendu avec nous. Il était intéressé par l'histoire de la Résistance et de la guerre d'Espagne, et par le parcours de mon mari, brigadiste à 29 ans, pour qui cet engagement était quelque chose de très fort…
« Quand Jacques Chirac m'a téléphoné pour m'inviter au dîner offert à l'Élysée en l'honneur du roi et de la reine d'Espagne, le 27 mars 2006, j'ai dû prendre une chaise et m'y laisser tomber tellement j'étais émue. Son appel m'a bouleversée… Et quand je l'ai entendu, à l'Élysée, devant le roi Juan Carlos, parler de mon mari comme d'“un de ces grands héros de la lutte pour la démocratie 4 ”, cela m'a semblé peut-être un peu trop fort et, en même temps, j'ai été très touchée… »
Cécile Rol-Tanguy évoque ensuite en quelques mots les idéaux défendus par son
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