L'Ombre du Prince
acclamer la
princesse Mérytrê comme la future reine d’Égypte, celle qui descendait
directement de la pure souche pharaonique par le lien qui la rattachait à sa
mère.
— Allons, Mérytrê, fit-elle en tapotant l’épaule
de sa fille. Lève la tête, redresse-toi et regarde fièrement la foule. Elle
veut voir ton visage, elle va te jauger, t’admirer, t’ovationner.
Mérytrê sentit des larmes brûler ses paupières
tant elle avait peur. C’était la première fois qu’elle accompagnait sa mère en
tournée officielle. Cette multitude de gens curieux, agités et serrés sur les
bas-côtés du chemin, l’impressionnait encore plus que les crocodiles qui
sillonnaient hardiment les bords du Nil par temps de sécheresse.
Elle regarda sa mère, prit un peu d’assurance
et, lentement, releva la tête.
Par bonheur, une diversion vint changer son
humeur inquiète et une lueur fugitive éclaira son œil terne. À quelques pas de
son char, celui de Thoutmosis vint se ranger. Il le conduisait lui-même avec
une aisance et une maîtrise fort remarquées de tous d’ailleurs, tant il y
mettait d’assurance.
C’était là un changement aux traditions
ancestrales qu’autrefois Hatchepsout avait réussi à imposer. À vrai dire, son
père n’y avait opposé aucune résistance, trop heureux d’imposer à la foule la
vision d’une femme conduisant elle-même avec une dextérité étonnante son propre
char.
Et le pharaon Thoutmosis, à qui les dieux n’avaient
pas donné de fils, devait prouver au peuple qu’Hatchepsout n’était pas faite
essentiellement que de soumission et de féminité.
En ce temps-là, Hatchepsout tenait les rênes
de ses chevaux aussi adroitement qu’un homme. Elle les menait avec fermeté,
maîtrisant la conduite et le parcours intégral, se tenant debout, jambes
écartées sur la mince plate-forme réservée au conducteur, regardant droit
devant elle.
Lorsque Hatchepsout pensait avec mélancolie à
Néférourê, sa fille aînée morte dans les années de sa jeunesse, elle ne pouvait
manquer d’associer sa propre audace à celle de l’enfant. Néférourê aurait eu l’aplomb
et la hardiesse pour faire claquer son fouet au-dessus de la tête enharnachée
de ses chevaux. Certes, son allure et son autorité le lui auraient permis.
Mérytrê, triste et déjà soumise, se contentait
de regarder béatement la fière silhouette de son demi-frère, celui qu’elle devait
prochainement épouser, puisque le destin voulait qu’en elle se perpétue la race
des pharaons.
— Mérytrê, chuchota Hatchepsout nerveuse
et contrariée, ne regarde pas le prince aussi stupidement. C’est la foule que
tu dois observer.
Alors que le char de Thoutmosis s’alignait
impeccablement aux côtés de celui d’Hatchepsout, les trompes se mirent à sonner
suivies par le son des sistres et des crotales.
Malgré le dur avertissement de sa mère, Mérytrê
ne put s’empêcher d’observer Thoutmosis. Il avait le corps un peu lourd, mais
bien proportionné, le torse puissant, les cuisses musclées, les épaules rondes
et le port de tête altier et dégagé. Un physique qui, sans aucun doute,
reflétait le parfait critère de beauté masculine à cette époque de la
dix-huitième dynastie.
Mérytrê était consciente de l’irréprochable
allure de son futur époux et, de ses yeux admiratifs, elle se rassasia de cette
image qui la rassurait, l’apaisait, replaçait sa confiance là où elle n’aurait
pas dû s’écarter.
Mais, brusquement, le regard sévère de sa mère
la rappela à l’ordre et poussant un soupir las et résigné, elle quitta la
vision de Thoutmosis pour embrasser tristement celle de la foule.
Dans le bruit et l’agitation du rassemblement,
le son des trompes et les chants psalmodiques qu’entamaient à présent les
prêtres, on aurait pu dire que le jeune Thoutmosis brillait par l’impétuosité
de son adolescence, mais ce qu’il dégageait était plus que cela. Une émanation
de puissance et d’autorité se libérait incontestablement de sa personne. Trop d’ailleurs
pour la tranquillité d’Hatchepsout. Il la toisa un instant. Le regard qu’elle
lui jeta fut de courte durée. Ils s’affrontèrent en silence, prenant juste le
temps de se défier quelques secondes. Puis, les applaudissements fougueux de la
foule les ramenèrent à leurs devoirs de souverains et ils se retournèrent l’un
et l’autre vers ceux qui les ovationnaient.
Hatchepsout crispa légèrement sa
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