L'Ombre du Prince
as-tu
fait d’assemblées clandestines durant mon absence ?
— Majesté, ne détournez pas le sujet. Le
prince est sain de corps et d’esprit. Son intelligence est vive et il ne désire
qu’une seule chose, faire partie de ce conseil.
Antef avait jeté ces mots en observant la réaction
qui s’inscrivait sur le visage des anciens dignitaires. Pour l’instant, aucun
ne lui donnait raison, mais pas un n’avait pris la défense de la reine. Ils
semblaient attendre avec patience la tournure des événements.
Hatchepsout fit, elle aussi, le tour de ses
vieux amis. Senenmout était nerveux. Un vilain tic relevait le coin gauche de
sa lèvre supérieure. Il savait qu’il devait attendre avant de placer les arguments
qui pouvaient défendre sa reine. Tout à l’heure, il parlerait des dépenses
inconsidérées qu’Antef avait faites pour les simples plaisirs du prince.
Hapouseneb jetait des regards contrariés et
désapprobateurs sur le jeune prêtre d’Amon qu’il n’avait certes pas formé dans
un esprit de rébellion.
Néhésy était blanc. Non de peur, mais de rage
contenue. « Allons, pensa la reine, ces trois-là me sont restés fidèles,
ils me serviront encore quoi qu’il arrive. »
Quant à Djéhouty, elle n’avait jamais su vraiment
de quel côté penchait sa loyauté. Sa passion soudaine et passagère pour Séchât
avait dû troubler la trajectoire de sa politique. Elle regretta, tout à coup, d’avoir
stupidement cassé leur liaison. Ensemble, leur surveillance assidue et totale
envers elle eût été invincible. Séparés, cette même vigilance devenait
vulnérable. À présent, Séchât volait vers d’autres amours.
Elle soupira et eut un geste contrarié, imperceptible
que, seul, Senenmout remarqua, ce qui le rendit irritable, sachant que ce
soudain agacement avait justement pour cause l’absence de sa fidèle compagne,
Séchât, la Grande Scribe, l’Intendante des Artisans, son amie de jeunesse,
celle qui, à force d’énergie et de détermination, avait su s’imposer dans le
climat corrompu d’une jungle dévorante que les technocrates entretenaient entre
eux.
Hatchepsout réprima son agacement. Séchât s’était
tout simplement fait excuser, prétextant une fatigue intense qui l’excluait de
cette première séance tenue depuis le retour de l’expédition.
Allait-elle aussi délaisser sa reine ?
Depuis qu’elle avait revu sa fille et qu’elle fréquentait assidûment Neb-Amon,
le nouveau médecin du palais, celui dont la renommée montait sans cesse à
Thèbes, Séchât n’était plus la même.
Pour se l’attacher davantage, Hatchepsout, en
la personne du pharaon qui s’octroyait tous les pouvoirs, pouvait casser à
nouveau cet amour.
Oui ! La reine était excédée. Séchât lui
manquait. Ce premier conseil se présentait fort mal face à toutes ces
hostilités qu’elle n’avait certes pas prévues.
La co-régence ! Fallait-il donc en
arriver là ? Séchât aurait pu la tirer d’embarras. Dans tous ces cas
douteux et troubles qui tournaient souvent en joutes périlleuses dont il
fallait sortir vainqueur, elle avait la répartie juste, équilibrée, adéquate.
Elle tirait toujours, comme d’une pochette surprise,
le texte d’une loi, d’un code, la ratification, l’abolition ou la prorogation d’une
clause de contrat ou d’un décret appliqué antérieurement et dont personne ne se
souvenait plus.
Combien de fois Séchât l’avait-elle ainsi
sortie d’une situation dangereuse ?
— Allons, fit-elle, dans un esprit de
conciliation, je vous propose que nous abordions tous les sujets qui sont à l’ordre
du jour de ce conseil.
— Pas avant que nous ayons solutionné le
problème de la co-régence, persifla Antef.
Senenmout se leva, le visage rougi par la
colère qui l’étouffait depuis plus d’une heure.
— Et si nous commencions par les dépenses
du palais ? fit-il en rejetant violemment la manche de son pagne
par-derrière son épaule.
Antef arrondit sa bouche qui devint épaisse et
lippue.
— Majesté, je réclame les comptes du
palais avant que nous abordions tout autre point, reprit Senenmout sans laisser
le temps à Antef de répondre.
La surprise que marqua Hatchepsout joua en sa
faveur.
— J’ai eu le temps, Majesté, de lire le
livre des comptes qu’Antef a tenu durant toute notre absence. Les dépenses ont
toutes été attribuées au Prince.
— À son éducation, rétorqua le vieil
homme dans un sourire
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