L'Ombre du Prince
plus en place et Séchât ne se lassait pas de la regarder.
Sa fille était jolie, saine, vive, spontanée,
plus belle que la princesse Mérytrê qui, restée maigre et chétive, ne semblait
pas respirer la joie de vivre. Comme elle était différente de sa sœur aînée
morte juste avant leur départ au Pays du Pount !
Quand Maâthor vint vers elles, Séchât l’embrassa.
Il y avait dans ce geste simple, naturel, sans calcul ni détours, tous les
remerciements que Séchât rendait à sa servante pour avoir si bien su s’occuper
de sa fille.
Jamais encore, elle n’avait eu ce geste affectueux
envers la nourrice de Satiah. Celle-ci en fut si troublée qu’elle rougit jusqu’à
la racine de ses cheveux noirs qu’elle coiffait en tresses voluptueuses
retombant sur ses épaules.
— Tu as été à la hauteur, Maâthor, et je
t’en remercie. Je retrouve une fille superbe, gracieuse et en parfaite santé.
Elle pointa sur elle un index long et fin
dénudé de bijou. Séchât n’avait jamais eu de grands élans pour les parures
exagérées de perles et de pierreries. Toujours sobre dans sa beauté naturelle,
elle n’arborait aucun artifice.
De son index tendu, elle frôla le buste de Maâthor.
— Sais-tu que tu as bien changé ? De
petite paysanne à moitié nubienne, te voici devenue une vraie jeune Thébaine.
Comme Maâthor devenait écarlate, elle ajouta
en riant :
— As-tu un amoureux ?
— Je ne me suis consacrée qu’à votre
fille, maîtresse. Vous l’aviez exigé à votre départ.
— C’est vrai.
En un tour de seconde, Séchât se remémora les
pénibles aventures vécues dans le désert, puis dans le fayoum et le delta, à la
recherche de Satiah kidnappée par ses ennemis les plus farouches. Elle l’avait
retrouvée après plus d’un an de recherches dans la cabane d’une vieille gardienne
de chèvres, perdue dans les méandres les plus mortels du delta [3] .
Néseth, la fausse nourrice, la prostituée à la
solde du vizir Mériptah avait été autrefois la compagne de Maâthor et s’était lâchement
servi d’elle pour accomplir son forfait.
Comprenant toutefois le désarroi de Maâthor qu’aucune
mauvaise intention n’avait effleurée, et partant pour le Pount, Séchât lui
avait exclusivement recommandé sa fille en la tenant pour responsable du moindre
incident qui pouvait se passer.
Maâthor qui ne pensait plus qu’à racheter sa
faute n’avait pas bronché. Lentement, elle avait acquiescé de la tête. « Je
veux, avait insisté Séchât avec froideur, que tu goûtes chacun de ses plats et
que tu la suives pas après pas, je veux que tu connaisses tous ses gestes et
que tu apprennes à discerner chacun de ses désirs. Désormais, tu dois manger,
dormir et vivre à ses pieds. M’as-tu compris, Maâthor ? »
À ces mots qui leur revenaient en mémoire, les
deux jeunes femmes avaient glissé sur de sombres souvenirs engendrant pour
chacune son propre destin. Puis, le visage de la nourrice revint à des couleurs
plus normales.
— Reshot ! murmura-t-elle.
Comment pouvait-elle ne pas se souvenir de la
tendre amie de Séchât tombée dans les flots enragés sans qu’on puisse l’en
retirer ? Pour elle, le Pays du Pount n’avait pas eu de retour.
— Ne parlons pas d’elle, dit Séchât à
voix basse. À présent, Reshot est parmi ceux qui l’ont aimée ici-bas.
Encore un souvenir qu’elle voulait oublier. Sa
compagne engloutie dans une mer qui ne connaissait plus les limites de son
tumulte et de sa rage. Une infinie quantité d’eau qui vous absorbait jusqu’à
vous laisser dépendante et soumise.
Jamais plus Séchât ne remettrait les pieds sur
un de ces gros vaisseaux qui l’emporterait loin des siens. Il était temps qu’elle
pense à un avenir moins professionnel et, qu’enfin, elle s’efforce de maîtriser
une vie familiale moins tourmentée, moins sinueuse. La tendre complicité
amoureuse de Neb-Amon le lui offrait.
*
* *
Le lourd pectoral accroché sur son buste et la
pesante coiffe de pharaon à la double rangée posée sur sa tête, Hatchepsout
brandissait avec fermeté le sceptre d’or qu’elle tenait entre les mains.
La barbe postiche terminée en pointe et recourbée
légèrement à l’extrémité affinait son menton déjà très effilé. Hatchepsout
secoua d’un geste ferme le sceptre d’or, puis l’immobilisa net, comme on
tranche sans hésiter le cou d’une oie grasse qu’on s’apprête à cuire à
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