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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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ami de mon frère. Mais si nous sommes
vus deux fois ensemble, nous attirerons soupçons.
    Je soupirai.
    – Et qui va nous voir ? Qui s'intéresse à nos faits
et gestes ?
    – Les gens ont toujours des yeux pour voir ce qui ne les
regarde pas, et mon père connaît la moitié de Barcelone.
    – Alors pourquoi es-tu venue m'attendre ici ?
    – Je ne suis pas venue t'attendre. Je suis venue à la
messe, tu te souviens ? C'est toi-même qui l'as dit.
    – Tu me fais peur, Bea. Tu mens encore mieux que moi.
    – Tu ne me connais pas, Daniel.
    – C'est ce que dit ton frère.
    Nos regards se rencontrèrent dans le reflet de la
vitrine.
    – Tu m'as montré l'autre nuit quelque chose que je
n'avais jamais vu, murmura Bea. Maintenant, c'est mon tour .
    Je fronçai les sourcils,
intrigué. Bea ouvrit son sac, en tira un carton plié en deux et me le tendit.
    – Tu n’es pas le seul à connaître des secrets dans
Barcelone, Daniel. J'ai une surprise pour toi. Je t'attends à cette adresse
aujourd'hui à quatre heures. Personne ne doit être mis au courant de notre
rendez-vous.
    – Comment saurai-je que je suis au bon endroit ?
    – Tu le sauras.
    Je la regardai, intrigué, en me demandant si elle ne se
moquait pas de moi.
    – Si tu ne viens pas, je comprendrai, dit Bea. Je
comprendrai que tu ne veux plus me revoir.
    Sans me laisser le temps de répondre, Bea fit demi-tour
et s'éloigna d'un pas rapide vers les Ramblas. Je restai là, le carton à la
main et les mots sur les lèvres, à la suivre du regard jusqu'à ce que sa
silhouette se fonde dans la pénombre grise qui annonçait l'orage. Je dépliai je carton. A
l'intérieur, en caractères bleus, je pus lire une adresse que je connaissais
bien :
     
    32, avenue
du Tibidabo

 
     
     
     
     
     
    14
     
     
     
     
    L'orage n'attendit pas la nuit pour montrer les crocs.
Les premiers éclairs me surprirent au moment où j'allai prendre un autobus de
la ligne 22. Le temps de faire le tour de la place Molina et de commencer à
remonter la rue Balmes, la ville s'effaçait déjà sous des nappes de velours
liquide en me rappelant que je n'avais même pas pris la précaution élémentaire
de me munir d'un parapluie.
    – Faut être courageux, murmura le conducteur quand je
lui demandai de s'arrêter à la prochaine.
    Il était déjà quatre heures dix quand l'autobus me
déposa à un arrêt perdu au bout de la rue Balmes, livré à la tourmente. Devant
moi, je devinais à peine l'avenue du Tibidabo, fantomatique sous la pluie et le
ciel de plomb. Je comptai jusqu'à trois et me mis à courir sous l'averse.
Quelques minutes plus tard, transpercé jusqu'aux os et grelottant de froid, je
m'arrêtai sous un porche pour reprendre haleine. J'observai le trajet qui me
restait à faire. Le souffle glacé de la bourrasque charriait un voile gris qui
masquait le contour spectral des villas et des hôtels particuliers noyés dans
la brume. Au centre se dressait le donjon noir et solitaire de la villa Aldaya,
échouée dans son bouquet d'arbres ployés sous le vent. Je relevai les mèches
mouillées qui me rentraient dans les yeux et courus le long de l'avenue
déserte.
    Le vent faisait battre la petite porte de la grille.
Au-delà s'ouvrait un sentier qui serpentait jusqu'à la villa. Je me glissai
dans la propriété. Çà et là parmi les broussailles, on
devinait des socles de statues impitoyablement jetées à bas. En approchant de
la villa, je vis que l'une
d'elles, l'effigie d'un ange purificateur, avait été abandonnée dans le bassin
d'une fontaine qui dominait le jardin. La silhouette de marbre noirci lui-même
comme un spectre sous la surface de l'eau qui débordait du bassin. La main de
l'ange de feu émergeait ; un doigt accusateur, effilé comme une
baïonnette, indiquait la porte principale. Le battant de chêne sculpté était
entrouvert. Je le poussai et fis quelque pas dans un hall caverneux dont les
murs oscillaient sous la caresse de la flamme d'une bougie.
    – J'ai cru que tu ne viendrais pas, dit Bea.
    Sa silhouette se profilait dans un couloir obscur,
découpée par la clarté blafarde d'une galerie qui s'ouvrait au fond. Elle était
assise sur une chaise, contre le mur, la bougie à ses pieds.
    – Ferme la porte, dit-elle sans se lever. La clef est
dans la serrure.
    J'obéis. La serrure grinça et un écho sépulcral lui
répondit. J'entendis les pas de Bea derrière moi et la sentis frôler mes
vêtements mouillés.
    – Tu trembles. C'est de peur

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